Sociétés & Représentations n° 6, résumés/abstracts

LA FAMILLE EN MORCEAUX, ANNE-CLAUDE AMBROISE-RENDU

La presse dessine une figure paradoxale de la famille fin de siècle. Loin des images rassurantes forgées par la littérature édifiante, la famille - qui apparaît presque exclusivement dans la presse via la chronique des faits divers - est presque toujours le cadre de désordres et de violences. À ces brutalités quotidiennes s’ajoute le caractère atroce de crimes spécifiques : parricides et matricides, enfants maltraités. Pourtant cette constante narrative n’ouvre à aucun moment sur une remise en cause de la famille. Les violences familiales, interprétées en termes vaguement sociologiques par la chronique des faits divers montrent les limites d’un genre journalistique qui s’arrête également au seuil de l’analyse psychologique et du discours social. La violence est un argument de vente, mais la violence familiale suscite un véritable embarras, montrant ainsi et comme en creux que la famille reste un des totems majeurs du siècle finissant.

The family in pieces, Anne-Claude Ambroise-Rendu

The press draws a paradoxical picture of the family at the end of the century —far from the reassuring images made up by edifying literature, the family— which is mentioned in the press almost exclusively in the news-in-brief pages — is nearly always about disorders and acts of violence. To these daily brutalities, one must add the odious aspect of specific crimes: parricides, matricides, abused children. Yet, this narrative recurrence never leads to a questioning of the family. Acts of violence inside families, described in the news-in-brief pages in vaguely sociological terms, show the limits of a journalistic genre, that also stops where psychological and social analysis begin. Violence is a marketing argument, but family violence causes real embarrassment, thus proving, in an inverted sort of way, that family remains one of the major totems of the ending century.


MOURIR AUX COLONIES, ALAIN QUELLA-VILLÉGER

Les violences « dites » en littérature témoignent de certaines représentations du monde et relèvent pleinement de l’histoire culturelle. À cet égard, les littératures exotique et/ou coloniale des années 1880-1930 nous ont légué un généreux inventaire d’atrocités. Il ressort que si le texte proprement exotique admet avec bienveillance et voyeurisme des violences qui sont éléments d’un décor et signes d’altérité, le récit colonial fait plutôt l’éloge des violences héroïques et patriotiques - comme la guerre -, « bonnes » donc par opposition aux barbaries indigènes. À partir d’un corpus représentatif, et au-delà de l’inventaire typologique de ces violences (autour de la mort notamment), il faut s’interroger autant sur le lecteur que sur le narrateur, et son accord ambigu avec les violences acceptées (vertueuses ou sacrificielles), redoutées (supplices, anthropophagie par exemple), voire symboliques (violences à l’ordre établi, y compris l’ordre colonial).
Ces textes de fiction rappellent combien les violences elles-mêmes sont le reflet de la relativité des valeurs et de l’histoire du goût.

To die in the colonies, Alain Quella-Villéger

In Literature, "related" violences testify of some representations of the world, and are fully part of cultural history. From the 1880’s to the 1930’s, exotic and/or colonial literacy left us a fertile inventory of atrocities. What emerges is that the strictly exotic text admits violence with benevolence and voyeurism as part of the setting and sign of radical difference, whereas the colonial narration rather praises heroic and patriotic violence —like in wartime—, therefore "good" violence as opposed to native cruelty. From a representative corpus of texts, and beyond typological inventory of these violences (about death mostly), we must sound the reader and the narrator about their ambiguous agreement with accepted violence (related to either virtue or sacrifice), feared violence (torture, cannibalism, for instance), or symbolic violence (as regards to the established order, including the colonial state). These works of fiction reflect how much violence is relevant of the relativity of values and the history of taste.


LES COMMUNEUSES, ROBERT TOMBS

La participation des femmes aux actes de violence en 1871 a toujours occupé une place importante dans les représentations de la Commune. Cette communication considère certaines analyses récentes de cette question, en examinant des textes d’archives concernant deux sortes d’action féminine : celle des combattantes et celle des bourreaux. Il y est suggéré que l’action des femmes fut plus limitée que plusieurs historiens l’ont présentée, mais que les limites mêmes de leurs actions ont une signification pour l’histoire des femmes et celle de la violence populaire.

Women of the Commune, Robert Tombs

Women’s participation in acts of violence in 1871 has always figured prominently in representations of the Commune. This paper discusses important recent analyses of this question, as well as exploring archival evidence concerning two different types of violent activity: women as warriors and women as killers. It argues that the role of women was more limited than several historians have recently suggested, but concludes that these very limitations are meaningful in relation both to gender behaviour and to the history of popular violence.


DE VERLAINE À COCTEAU, ÉVELYNE LEJEUNE-RESNICK

Paul Verlaine, poète, homosexuel et prince des Poètes au XIXe siècle et Jean Cocteau, poète, homosexuel et prince des Poètes au XXe siècle, ont suscité chacun des réactions, commentaires et opinions parfois désobligeants, pour ne pas dire agressifs : la violence du regard social a été extrêmement prononcée envers eux.

From Verlaine to Cocteau, Évelyne Lejeune-Resnick

The personality of Paul Verlaine, poet, homosexual and Prince of the Poets during the 19th century, and the one of Jean Cocteau, poet, homosexual and Prince of the Poets during the 20th century caused a lot of unpleasant, even aggressive reactions and comments: the violence of the public opinion against them was extreme.


LA VIOLENCE DE LA PAUVRETÉ, NICOLAS VEYSSET

L’exercice, par l’État, de la violence symbolique est appréhendé ici à travers l’histoire des procédures d’identification. Ces procédures se découvrent dans les diverses mesures de police appliquées au monde populaire parisien du premier XIXe siècle : distribution de la population en catégories homogènes, détermination des identités par le croisement des catégories, écriture des identités, relais dans des pratiques de surveillance et de contrôle. La violence des mesures apparaît autant dans les résistances des classes populaires que dans les difficultés à édifier une machine administrative en adéquation avec le nouvel ordre symbolique.

The Violence of poverty, Nicolas Veysset

Symbolic violence, from the State, is here analysed through the history of the proceedings of identification. These proceedings are disclosed in the various methods used by the Police toward the parisian lower classes in the 19th century: dividing the population into homogeneous categories, determining identities by crossing categories, writing down identities, shifting into watch and control practices. Evidence of the violence of these measures is found as much in the reluctance of the lower classes to comply, as in the difficulty to build an administrative machine in adequacy with the new symbolic order.


LA BRUTALITÉ PHOTOGRAPHIÉE, MARIN DACOS

La photographie révèle l’historicité des représentations de la violence. Dans le premier quart du XXe siècle, la tuerie d’animaux que notre société s’applique à dissimuler derrière des murs et des euphémismes, n’est encore qu’une pratique commune qui ne pose pas de problème de conscience. Théophile Magné, artisan passionné de techniques, a voulu immortaliser la tuerie, en lui ajoutant le piment de la féminité. Émile Establet, paysan de la plaine comtadine, confronté à la Grande Guerre, voit la violence d’un autre œil. Elle est avant tout désolation et tristesse. Les terres sont ravagées, les hommes morts ou blessés. Son appareil photographique en dit plus sur l’horreur de la guerre que son carnet, dans lequel il ne s’épanche pas.

Photographied violence, Marin Dacos

Photography reveals a way of looking at things which points out the historical feature of the representations of violence. In the first quarter of the twentieth century, the slaughtering of animals that our society used to carefully hide behind walls and euphemisms, was only common pratice which did not raise any problem of conscience. Théophile Magné, a craftsman fascinated by technology, wanted to immortalise the slaughtering by spicing it with a touch of feminity. Émile Establet, a peasant from the plain of Vaucluse, confronted with the First World War, saw violence from a different point of view. There is nothing but desolation and sadness. Lands are devastated, men dead or wounded. His camera tells more about the horor of the war than his notebook, which gives no display of emotion.


LES MARQUES DU SAVOIR, JEAN-CLAUDE CARON

L’émergence de la question de la violence pédagogique, dans les années 1830-1880, est liée au regard changeant sur l’enfant et l’affirmation croissante d’un État de droit. La dénonciation des châtiments corporels entraîne l’irruption dans le champ scolaire de l’expertise médicale, plus encore dans le cas des violences de nature pédophile. Des dizaines d’affaires judiciaires révèlent les conflits de pouvoirs qui se nouent autour de l’école, notamment entre laïques, souvent en position d’accusateurs, et clercs, qui constituent une forte majorité des enseignants condamnés.

The marks of knowledge, Jean-Claude Caron

The emergence of the topic of pedagogical violence in the 1830’s-1880’s is related to an evolving view about the child’s status and to the growing confirmation of a State of Right. The denunciation of corporal punishment led to the emergence of medical expertise in schools, even more in cases of pedophile violence. Dozens of court cases reveal the conflicts of power in the scholar field, especially between secularity supporters, often on the prosecution side, and clerks, the vast majority of convicted teachers.


LA MISE EN SCÈNE DE L’AUTORITÉ PÉDAGOGIQUE, ROMAIN GARBAYE ET VALÉRIE LAFONT

Cette étude menée dans deux classes d’école primaire dont les profils sociaux sont fortement différenciés, vise à comprendre comment se traduisent dans les dispositions corporelles des élèves et des enseignants, la norme scolaire et, à travers elle, la norme sociale ; comment, par des attitudes corporelles, sont signifiées la relation pédagogique et l’autorité dans les deux écoles. Les corps, qu’ils soient mis en scène ou en retrait, sont en effet instrumentalisés pour exercer la contrainte pédagogique. Ils participent de deux modes d’incorporation de l’ordre scolaire : la discipline et l’auto-contrôle. L’application de sanctions par les institutrices d’un côté et les débordements des élèves de l’autre, sont l’occasion de pratiques corporelles qui sont différenciées en fonction des degrés d’incorporation des normes scolaire et sociale et des sensibilités inégales face au langage et à la morale.

Staging pedagogical authority, Romain Garbaye and Valérie Lafont

This study carried out in two primary school classes of very different social backgrounds, aims at understanding how school norms, and through it social norms, are translated in the corporal dispositions of both pupils and teachers; how, through body attitudes, pedagogical relations and authority are signified. Bodies, whether they are put in the foreground or recessed, are in any case instrumentalised in order to exert pedagogical constraint. They are part of two modes of incorporation to school order: discipline and self-control. Sanctions imposed by school teachers on one hand, and misbehaviour by pupils on the other hand, are the occasion for corporal practices which are related to the different degrees of incorporation of scholar and social norms, and unequal sensitivities in terms of language and morals.


L’ENFANCE VIOLENTÉE, MARIE-SYLVIE DUPONT-BOUCHAT

Les transformations de la sensibilité à l’égard de la violence sexuelle commise sur les enfants s’inscrivent dans le contexte général d’une montée du sentiment sécuritaire à la fin du XIXe siècle. À partir des regards croisés portés par le droit, la justice et les réactions sociales, on peut observer au fil du siècle, le développement d’une nouvelle sensibilité à la violence et ses victimes, surtout s’il s’agit d’enfants. S’il est plus facile de légiférer, en 1846, sur la violence sexuelle que sur la protection de l’enfance au travail, s’il est plus facile de condamner un pédophile qu’un patron d’industrie qui exploite la main-d’œuvre enfantine, les sensibilités changent dans le dernier quart du XIXe siècle, sous la pression des magistrats et des sociétés protectrices de l’enfance. Un nouveau regard est porté sur l’enfant qui apparaît désormais comme un enjeu pour l’avenir d’une société qui mise sur le progrès et où le besoin de sécurité se développe, parallèlement au sentiment du danger.

Abused Chilhood, Marie-Sylvie Dupont-Bouchat

The evolution of sensitivities regarding sexual abuse toward children is part of a general context of growing concern for security at the end of the 19th century. The development of this new sensitivity can be observed through crossed examinations by the law, justice and social reactions. If it was easier in 1846 to legislate on sexual violence than on child labour, changes in sensitivities occurred under the pressure of magistrates and associations for the protection of children. The child starts to be considered as a stake in the future of a society that bets on progress and whose need for security develops in parallel with a feeling of danger.


L’INVENTION DE LA VIOLENCE MORALE, GEORGES VIGARELLO

Alors que l’attentat à la pudeur ou le viol sur enfant constituent des violences très particulières où interviennent la domination, la peur, la contrainte par ascendance, le thème de la violence morale demeure longtemps non reconnu par la jurisprudence et les textes. C’est très lentement que ce thème s’impose au XIXe siècle. Son histoire traverse les décennies. Le champ des crimes sur enfant constitue à cet égard un exemple éclairant. Il montre l’apparition d’une notion précieuse pour le droit. Il s’agit, au bout du compte, d’une nouvelle prise en compte du sujet.

The invention of moral violence, Georges Vigarello

Indecent exposure or child rape are particular violences in which domination, fear, constraint by family influence are found, whereas the notion of moral violence remained absent for quite a long time in legal texts. It became a concern during the 19th century, growing slowly throughout decades. The field of crimes against children is a relevant example of it. It shows the emergence of a precious notion for the Law. It ultimately is a new taking-into-account of the subject.


LA TOPOGRAPHIE JUDICIAIRE À GENÈVE, MICHEL PORRET

Héritière, au XIXe siècle, de la procédure inquisitoire de l’Ancien Régime, l’enquête judiciaire vise à objectiver toutes les circonstances des crimes de sang. Les enquêteurs fixent l’« état des lieux ». Or, avant l’invention et l’usage de la photographie criminelle, la « topographie judiciaire », comme le montre ici l’exemple gevenois, apporte à la qualification des éléments matériels objectifs tirés de la scène du crime. Devant les tribunaux, cette « objectivité » judiciaire contribue pourtant à construire la dangerosité morale de l’homo criminalis et à marquer la motivation de la peine.

The judiciary topography in Geneva, Michel Porret

The judiciary following the old regime aims at getting an objective view of all circumstances of blood crimes. The investigations freeze the "state of the place". But, before the invention and use of criminal photography, the "judiciary topography", as shown here in the example of Genova, brings objective material elements to the participation. In court, however, this judiciary "objectivity" contributes to build the moral dangerosity of the homo criminalis and mark the sentence motivation.


LE CORPS DANS TOUS SES ÉTATS, FRÉDÉRIC CHAUVAUD

Tantôt mutilé, tantôt éviscéré, tantôt disloqué, le corps est l’objet de toutes sortes de violences. Les descriptions des médecins experts renseignent sur la gravité des blessures et la chronologie des brutalités. De la sorte, se constitue une science des indices. Les marques de l’horreur sont instrumentalisées par les représentants de la médecine légale qui inventent de nouvelles catégories comme le viol-meurtre d’enfants. Les experts s’attachent également à débusquer la logique de tels agissements. L’instinct destructeur et l’instinct génésique expliqueraient certaines formes de crimes sadiques ou les actes de dépeçage criminel. Reste que la violence extrême, introduite dans les prétoires, est un révélateur de la mue des sensibilités.

The body in dreadful states, Frédéric Chauvaud

Either mutilated, disemboweled, or dismembered, the human body is the objetc of all kinds of violence. Expert doctors give some informations about serious wounds and the chronology of bruises. Thus, a science of clues was developed. The horrible marks are used by the representatives of forensic medicine who make up some new categories such as children’s murder-rape. Experts also endeavour to understand the logic in such acts. Destructive instinct and sexual reproductive instinct may be an explaination for some forms of sadistic behaviour or crimes of dismembering. The fact remains that extreme violence, presented in court, reveals a shifting in sensitivities.


LE SUICIDE EN BEAUCE, JEAN-CLAUDE FARCY

En prenant l’exemple de l’Eure-et-Loir - un département à fort taux de suicides à la fin du XIXe siècle -, cet article propose quelques orientations de recherches pour appréhender les représentations de la mort volontaire en milieu rural à l’aide des constats de gendarmerie et de la « chronique départementale » de la presse régionale : vécu de la violence de l’événement par les proches (stupeur, urgence du temps, accablement, sentiment de culpabilité), perceptions du suicidaire (désespoir et protestation, conscience de l’interdit), représentations de la communauté villageoise (les manifestations du syndrome de « glissement » expliquent le geste en évitant le procès du village), image donnée par la presse locale (fréquence du compte rendu placé au rang de fait divers ordinaire). Le texte suggère qu’à cette époque et dans cette région, à la fois marquée par l’individualisme et la fréquence du geste, le suicide est banalisé, perçu presque comme une mort ordinaire, conclusion logique et attendue d’un état antérieur de « mort sociale ». Ceci a pour effet d’atténuer fortement sa violence accusatrice et la réprobation qui lui est liée, les seules réserves se manifestant dans les milieux catholiques. Une comparaison avec d’autres régions et surtout une étude sur le long terme devraient permettre de tester l’hypothèse que la violence perçue du suicide est étroitement liée au degré de cohésion de la communauté rurale.

Suicide in Beauce, Jean-Claude Farcy

Based on the example of Eure-et-Loir —a county with a high rate of suicide— at the end of the 19th century, this article proposes a few directions for research concerning the representations of self-inflicted death, in a rural world, through reports from the police and the local press: the violence of the event as experienced by the relatives (amazement, feelings of emergency, despondency, guilt), perceptions of the suicided person (despair and protestation, awareness of the forbidding), representations of the village community (the manifestations of the "slide syndrom" explain the act while avoiding the trial of the village), image given by the local press (frequency of the reports in the news- in-brief section). It all suggests that in those days and in that region marked by both individualism and the recurrency of the act, suicide was made commonplace, perceived as an almost ordinary cause of death, the logical and expected conclusion of a prior state of "social death". As an effect, this strongly attenuated its accusing violence and the reprobation linked to it, with the exception of the Catholics only. A parallel with other regions and above all a long term study would allow to test the hypothesis that the perceived violence of suicide is tightly bound to the degree of cohesion in the rural community.


LA LÈPRE AU XXE SIÈCLE, ÉTIENNE THÉVENIN

Jusqu’au milieu du XXe siècle, le lépreux est, dans le monde, l’exclu par excellence car on ne connaît alors aucun remède contre la maladie qui est considérée, à tort, comme très contagieuse. Les lépreux subissent la violence sous ses formes les plus diverses. La découverte de remèdes efficaces, les sulfones, est loin d’entraîner un changement général des pratiques discriminatoires. Les mentalités évoluent souvent plus lentement que les découvertes médicales. En cette fin de XXe siècle, la carte de la lèpre est celle de la grande pauvreté et de la guerre. Elle révèle les violences majeures qui secouent le monde.

Leprosy in the 20th century, Étienne Thevenin

Until the middle of the 20th century, lepers were typical cases of exclusion, for no remedy was then known against that disease, wrongly supposed to be highly contagious. Lepers had to suffer all kinds of violence. The discovery of an efficient remedy, sulfones, didn’t put an end to discriminating practices. Human attitudes prove to evolve at a slower pace than medicine. At the end of this century, the map of leprosy is the one of great poverty and war; it reveals the major cases of violence that are currently shaking the world.


LA MORGUE DE PARIS, BRUNO BERTHERAT

La Morgue de Paris au XIXe siècle a cette particularité qu’elle pousse très loin le principe archaïque de l’exposition publique, au service de l’identification des cadavres inconnus. Au nom du contrôle social, elle développe un véritable système panoptique. Le souci d’efficacité justifie la manipulation grandissante des cadavres. Or, longtemps acceptée comme une nécessité sociale, l’exposition publique est remise en cause à la fin du siècle au nom du respect du mort et de la moralité publique. Car le spectacle de la Morgue, en contradiction avec le rituel funéraire sécurisant et malgré des tentatives d’amélioration de la part des autorités, devient obscène. L’évolution des sensibilités rejoint les mutations des techniques de reconnaissance pour mettre fin à l’exposition publique en 1907 et donner à la Morgue le visage technicien et énigmatique qu’elle a aujourd’hui.

The morgue of Paris, Bruno Bertherat

The Morgue of Paris in the 19th century had the particularity of pushing very far the archaic principle of public exhibition of unknown deadbodies, with a purpose of identification. In the name of social control, it developped a real panoptical system. The concern for efficiency justified the increasing manipulation of dead bodiess. However, after being accepted as a social necessity for a long time, public exhibition was questionned at the turn of the century, in reference to the respect due to the Dead and to public morality. Indeed, the exhibition at the Morgue, in contradiction with the comforting rites of funerals and in spite of the authorities’ attempts at improving things, had become obscene. The evolution of sensitivities met with the mutations in identification techniques, resulting in putting an end to public exhibition in 1907 and giving the Morgue the technician and enigmatic face it has today.


LA CHAIR INEFFABLE, LYDIE PEARL

Dans notre culture rationaliste, être possédé, sortir de sa peau, ou se voir « habité » par un autre, est une violence sans compensation bénéfique. Cependant, depuis une dizaine d’années, dans une société médiatique réputée pour avoir réalisé le crime parfait de la réalité, des musées montrent des artistes qui mettent en scène la disparition du contour du corps, de la frontière de la peau, éventuellement accompagnée de commentaires dénotant la violence de cette transgression. On donnera comme exemples les têtes vidéographiées de Tony Oursler qui supplient qu’on leur rende leur corps, les photos de corps de Peter-Joël Witkin, composées de fragments de cadavres et de corps vivants, ou encore les montagnes de corps absurdes de Paul McCarthy. On peut s’interroger sur les raisons de la reconnaissance de ces œuvres et se demander si les artistes, après avoir pendant des siècles sublimé la réalité, auraient maintenant pour fonction de lui redonner du corps - de la matérialité - pour lui redonner du sens.

The unspeakable flesh, Lydie Pearl

In our rationalistic culture, to be possessed, to go out of one’s body, or to see oneself "inhabited" by another, is a violence without any beneficent compensation. However, in the last ten years, in a media society known to have committed the perfect murder of reality, museums have been exhibiting artists who show the disappearance of the body outline, of the skin frontier, sometimes with comments indicating the violence of the transgression. Examples are given, such as the videographed heads by Tony Oursler, begging to be given back their bodies, Peter-Joël Witkin’s photos of bodies made of pieces of dead or alive bodies, or the absurd mountains of bodies by Paul McCarthy. One may wonder about the reasons for the recognition of these works and may suggest that artists, after having sublimated reality for centuries, have now, as a function, to restore some body to it —materiality— in order to restore its sense.


UNE BEAUTÉ CAPITALE, FRÉDÉRIQUE MATONTI

Hérault de Séchelles, membre du Comité de Salut public et guillotiné en même temps que Danton, est demeuré une énigme pour les historiens qui, soit l’ont relégué dans l’oubli, soit n’ont pas réussi à lui assigner un étiquetage politique. De cet aristocrate, parlementaire d’Ancien Régime, il ne reste finalement qu’une seule image, sa beauté. Or, celle-ci loin d’être anecdotique est au contraire l’une des clés essentielles pour comprendre sa trajectoire politique. Deux écrits d’Hérault de Séchelles, rédigés en 1788, permettent, en effet, de montrer qu’il s’est employé à travailler ses ressources corporelles afin de les ennoblir encore et d’en faire l’instrument de son ascension sociale, conformément aux règles de la société curiale. Or, à l’heure de la Terreur, les révolutionnaires voient dans le corps le produit des conditions sociales. Dès lors, le corps d’Hérault de Séchelles, inaccordé à la légitimité politique nouvelle, devient un stigmate qui le destine à la peine capitale.

A capital beauty, Frédérique Matonti

Hérault de Séchelles, member of the Public Salvation Committee, beheaded along with Danton, is still an enigmatic figure for historians, who either chose to leave him into oblivion, or failed to identify him politically. Nothing remains of this aristocrat, parliamentary of the Old Regime, except the fact that he was extremely handsome. Far from the anecdote, that beauty is an essential key to understand his political fate. Two texts written by Hérault de Séchelles in 1788 testify that he worked on improving his body in order to make it an instrument for climbing the social ladder. But at the time of the Terror, revolutionary leaders regarded good looks as the result of social privilege. Therefore, Hérault de Séchelles’ body, not in adequacy with the new political norms, became a stigma that led him to the guillotine.


L’ATTRAIT DE LA GUERRE RÉVOLUTIONNAIRE, ISABELLE SOMMIER

À partir de documents d’époque (tracts, textes militants, essais), l’auteur s’interroge sur les modes de légitimation de la violence révolutionnaire dans les principales organisations d’extrême gauche de l’après-1968 en France, Italie et RFA. Trois missions sont assignées aux contestataires par le recours à la violence : le devoir historique, l’exigence éthique et le besoin de libération. Inégalement défendues par les différents groupes, elles témoignent, avec le temps, d’une vision toujours plus subjective, voire individualiste, du devoir-être révolutionnaire.

The attraction of revolutionary War, Isabelle Sommier

After studying historical documents (leaflets, militant texts, essays…), the author raises questions about the modes of justification of revolutionary violence in the major post-may-1968 extreme left-wing organisations in France, Italy and West-Germany. Three missions resorting to violence were assigned to militants: historical duty, ethical demands and the need for liberation. These missions were questionably defended by the various groups, throughout time they reveal a growingly subjective- even individualistic- view of the revolutionary duty.


LA MISE À MORT DU GENDARME BIDAN, JEAN-NOËL LUC

Le 6 décembre, le gendarme Bidan est assassiné à Clamecy (Nièvre) par une foule déchaînée de citadins et de villageois, soulevés contre le coup d’État de Louis Bonaparte. Les cinquante-quatre blessures, repérées sur le corps de la victime et attribuées à quatorze instruments différents, attestent la multiplicité et la succession de ses agresseurs. En utilisant les dépositions des témoins, cet article essaie de décrire et de comprendre cette violence collective et intentionnelle, qui embarrasse les commentateurs républicains du siècle dernier.

The killing of Constable Bidan, Jean-Noël Luc

On december 6th, Gendarme Bidan is assassinated in Clamecy (Nièvre) by enraged crowd, of city-dwellers and villagers, uprising against the coup of Louis Bonaparte. Fifty-four wounds, found on the victim’s corpse anduted to fourteen different instruments, show the multiplicity and succession of his agressors. By using depositions of witnesses, this article tries to describe and understand this collective and intentional violence, which embarrasses republican comentators of the last century.


LES INCONSTANCES DE LA SENSIBILITÉ À L’ÉGARD DES ANIMAUX, ÉRIC PIERRE

Au milieu du XIXe siècle, un mouvement de protection des animaux se structure (fondation de la SPA en 1845, vote de la loi Grammont en 1850). Il s’appuie sur l’expression de sentiments de pitié et de compassion à l’égard des bêtes, mais aussi sur une volonté de réforme sociale. Il s’agit de moraliser et d’améliorer les hommes en leur apprenant à bien traiter les animaux. Mais l’action protectrice est sélective, elle ne s’applique pas à tous les animaux. La souffrance de certaines espèces scandalise alors que celle d’autres laisse indifférent même les protecteurs les plus ardents. Le bestiaire protecteur se modifie sans cesse. Ces changements reposent à la fois sur des préjugés sociaux (critique des comportements populaires à l’égard des animaux) et sur les représentations qui s’attachent à chaque espèce.

The inconstancy of public sensitivity toward animals, Éric Pierre

A movement for the protection of animals started to take shape in the middle of the 19th century (Society for the Prevention of Cruelty to Animals in 1845, passing of the Grammont Act in 1850). It is the expression of pity and compassion for animals as well as a demand for a reform of society. The purpose was to moralise in order to improve men by teaching them to respect animals. But the preventive action is selective, it doesn’t apply to all animal species. The pains suffered by some animals raise scandals, whereas the fate of other species leaves even the most passionate militants totally indifferent. The protected bestiary keeps changing all the time. This inconstancy is founded on both social prejudice (looking down on lower classes behaviour with animals), and the representations attached to each species.


LE REGARD DIVERGENT, DAVID LEPOUTRE

La persistance ou la résurgence récente, dans les sociétés occidentales issues du « procès de civilisation », de relations sociales fondées sur la violence physique interrogent de manière récurrente les sciences sociales contemporaines. En examinant certains travaux récents de sociologie sur ce qu’il est désormais convenu d’appeler les « violences urbaines », en France et aux États-Unis, et en les confrontant avec une étude ethnographique menée dans un grand ensemble de banlieue, cet article essaie de mettre en lumière la divergence d’interprétation entre ces deux disciplines qui s’attachent principalement, pour la première à la recherche des causes, pour la seconde, à la découverte des codes, des règles et du sens.

The divergent view, David Lepoutre

In western societies born from the "trial of civilisation", the persistence or recent reappearance of social relations founded on physical violence questions modern social sciences in a recurring process. By studying some recent sociological analysis in France and in the United Staes about what is commonly called “urban violence”, and by comparing them with an ethnological study carried out in suburban new towns, this contribution aims at stressing the divergent views between these two topics, the first one looking for causes, the second one trying to make out the codes, rules and meanings.