Sociétés & Représentations n° 5, résumés/abstracts
LE SOCIAL, LA CITOYENNETÉ ET LA SOUVERAINETÉ, MARCEL DAVID
Le social n’a pas attendu que soit reconnue la souveraineté du peuple pour naître. Mais le surgissement de celle-ci en a permis la progression d’ensemble. Le civisme et la citoyenneté ont alors tenu lieu de renfort à ladite souveraineté comme fondement du social. À quoi a succédé une seconde phase durant laquelle le social, conçu de façon réductrice, a subi un recul qui a consisté à mettre la souveraineté sous le boisseau comme fondement du social et à la remplacer par le civisme et la citoyenneté. D’où la question de savoir si les zélateurs du social sont en mesure de remonter la pente et, si oui, à quelles conditions et dans quels cadres.
Social relief, citizenship and sovereignty, Marcel David
he social contract appeared long before the supremacy of the People was recognized. But the emerging of this recognition allowed a progression of the general view. Civics and citizenship then reinforced the mentioned supremacy as social founding. A second step followed, during which the social contract, conceived in a reducing manner, gave way to civics and citizenship as social founding. Therefore the question is now to know whether the social zealots are able to go back up the hill and, if they are, on what conditions and in what framework.
« GUERRE ET PAIX », PASQUALE PASQUINO
À la suite de l’enseignement de Michel Foucault sur l’histoire des systèmes de pensée et des théories de la politique liées à la naissance de l’État moderne, on s’est efforcé de prolonger sa réflexion sur l’opposition qu’il faisait entre le discours de la guerre et ce qu’il appelait la « théorie juridico-politique de la souveraineté ». Contrairement à ce qu’affirme le conférencier de Il faut défendre la société, la question des limites juridiques de l’exercice du pouvoir n’est pas centrale dans la théorie politique en général ; elle ne l’est que dans la philosophie politique libérale. Ainsi, Hobbes n’a pas pensé la souveraineté et l’État à partir des droits des individus ; au contraire, son effort et son apport ont consisté à penser la garantie du droit minimal des individus, leur droit à la vie en vue et pour la garantie duquel le Léviathan est un instrument.
« War and Peace », Pasquale Pasquino
Following Michel Foucault’s teaching on the history of thinking systems and the political theories related to the birth of the modern State, the author has tried to go beyond Foucault’s opposition between war speech and what he called the "legal policy of sovereignty theory". In contradiction with the statement of the lecturer of We must defend society, the question of the legal limits of the exercise of power is not central in the political theory in general; it is central only as far as the philosophy of liberal policy is concerned.. Thus, Hobbes did not think about sovereignty and the State in terms of individual rights; on the contrary, his effort and contribution consisted in thinking the guarantee of the minimal right of individuals, their right to live with a guarantee for which the Leviathan is instrumental.
PATERNALISME ET RÉFORMISME, RENÉ BOURREAU
Cet article se propose de montrer à quel point les questionnements de deux classiques de la sociologie, Frédéric Le Play et Émile Durkheim, sont actuels. La contemporanéité de ces auteurs semble, paradoxalement, due à la distanciation réflexive qu’ils ont su prendre vis-à-vis de leur propre actualité. Ainsi ont-ils pu éviter de restreindre la question sociale à la question ouvrière.
Paternalism and reformism, René Bourreau
The object of the successive and nevertheless parallel "interrogations" by these two classic sociologists (Frederic Le Play and Emile Durkheim) —however divergent their commitments might have been— is to prove the modernity of their query. This modernity, from two authors whose works are one century old, paradoxically dwells in the reflective distance they chose to keep towards their own actuality. They thus managed to avoid limiting the social question to the mere working-class issue.
ENTRE L’ASSISTANCE ET L’ASSURANCE, LA SOLIDARITÉ, PIERRE CONCIALDI
Dans les analyses de la protection sociale, le clivage entre assurance et solidarité, ou entre assurance et assistance, masque l’émergence relativement récente du concept majeur de solidarité dans les représentations de la protection sociale. L’objectif de cet article est de montrer que le diptyque assurance/solidarité ne permet pas de penser correctement les problèmes actuels de la protection sociale, lesquels doivent être analysés par référence à un triptyque assistance/solidarité/assurance, où le concept de solidarité occupe une place centrale et les deux autres concepts une position mineure. Dans cette perspective, le problème essentiel qui se pose aujourd’hui est de redonner une nouvelle légitimité, de caractère fondamentalement politique, aux solidarités organisées qui s’exercent à travers le système de protection sociale. Ceci suppose de pallier le déficit démocratique dont il semble souffrir à l’heure actuelle et de développer les bases d’une « ingénierie politique » capable de répondre à cette exigence d’un développement des droits politiques.
Neither assistance nor insurance, Pierre Concialdi
The debate on the welfare state often focuses on the distinction between insurance and redistribution, or between so-called contributory benefits and non-contributory ones. As a result, many reforms try to draw a line between these two kinds of benefits. The purpose of the paper is to show that this is not an adequate way of analyzing the welfare state and that social protection systems should be anayzed through the central concept of solidarity. In this perspective, solidarity is not limited to means-tested benefits or other forms of redistribution; it is rather the fundamental principle that is at the heart of social protection. Following this analysis, the paper argues that the main problem faced by social protection systems today is to reinforce the legitimacy of their principles. This is a political issue that calls in turn for a reinforcement of the democratic process.
LE DÉPLACEMENT DE LA QUESTION SOCIALE, JACQUES DONZELOT
Le mode de résolution de la question sociale classique, par rapport auquel le travail social a trouvé son sens originel, est-il toujours pertinent ? La question sociale a changé de nature dans la mesure où elle ne repose plus sur un antagonisme central dans la société. L’État-providence a été une solution à une opposition fondamentale engendrée par les rapports sociaux de production. Aujourd’hui, les rapports de force ne sont plus en mesure de susciter une telle tension. L’inscription socio-économique de chacun ne risque plus de l’emporter sur l’inscription citoyenne. Dans la nouvelle question sociale, la démocratie n’est pas remise en cause. Il faut produire du social à partir de la citoyenneté politique. C’est ce que visent à faire les politiques du RMI et de la Ville.
The shifting of the social issue, Jacques Donzelot
Is the solving mode of the social issue in its classical approach, from which social work has developed its original meaning, still pertinent? The nature of the social issue has changed in the sense that it is no longer based on a central antagonism within society. The welfare State was a solution consistent with a fundamental opposition generated by the social relations of production at the time. Nowadays, the forces ratio are not able to create such tension anymore. The socio-economic involvement of each individual cannot overcome the involvement as a citizen. In the new social issue, democracy is not questioned. We must produce welfare on the grounds of political citizenship. This is what the policy of the Minimum Revenue of Integration and the policy of the city are aiming at.
L’EFFRITEMENT DE LA CONDITION SALARIALE, ROBERT CASTEL
La crise que nous connaissons depuis les années Soixante-dix est, avant tout, une crise de la régulation salariale, une remise en cause de la stabilité qui s’était attachée à la condition salariale. La société salariale avait réussi à articuler travail et protection, travail et sécurité relative. Depuis une vingtaine d’années, ce mode de régulation est remis en cause, le travail tendant à être de nouveau traité comme une marchandise. Car au fur et à mesure que le marché s’internationalise, que la concurrence augmente, le travail devient la cible principale d’une politique de réduction des coûts, notamment du prix de la force de travail. Ceci se traduit par un processus d’individualisation de la condition salariale aux effets ambivalents dont l’un est celui de la désaffiliation par rapport au marché du travail. Il est nécessaire de renforcer l’articulation de l’économique et du social, en tenant compte des transformations technologiques et économiques qui sont intervenues depuis vingt ans et qui ont destabilisé la forme d’équilibre à laquelle était parvenue la condition salariale.
The crumbling of the wages condition, Robert Castel
The crisis we have known since the beginning of the 1970’s is, above all, a crisis of the regulation of wages, a questioning of the stability that used to be linked to the wages condition. The wages society had managed to articulate employment and protection, employment and reasonable security. This mode of regulation has been put in question for about twenty years, since employment started to be treated as a trading good again. Because along with the internationalisation of the market, of the increasing competition, work is becoming the major target of a reduced cost policy, mainly the price of manpower. This leads to an individualisation of the wages condition process with ambivalent effects, one of which being the disaffiliation with regard to the employment market. It is necessary to reinforce the articulation between the economic and the social fields, taking into account the technological and economical changes that have occurred in the last twenty years and which have destabilised the form of balance that had been achieved in the wages condition.
LIEN SOCIAL, IDENTITÉ ET CITOYENNETÉ PAR TEMPS DE CRISE, ABDELMALEK SAYAD
À l’occasion de la crise du marché du travail et de la rareté de l’emploi, on redécouvre les mérites autrefois cachés, déniés, de ce qu’on appelle, faute de mieux, le système précapitaliste. La prise en compte de tous les « laissés-pour-compte » du politique et du pouvoir politique oblige à reconnaître la nécessité d’une construction philosophique et politique que leur présence pose à la citoyenneté en général. C’est la crise de tout le paradigme dominant fondé sur la territorialisation des droits et l’idée d’une nature humaine à laquelle correspondrait une unique forme de rationalité, de vérité et d’universalité à laquelle nous assistons. C’est aussi le principe qui structure l’ordre social et notre représentation du monde social et politique, le travail, qui est en cause. Le dépérissement de l’état social ne va pas sans répercussions sur la qualité de citoyen. C’est en restaurant ses conditions de fonctionnement et son autorité que la citoyenneté demeurera le principe du lien social.
Social link, identity and citizenship in a time of crisis, Abdelamajek Sayad
The crisis in the employment market and the scarcity of work, is an occasion to rediscover the merits (that used to be hidden or denied) of what is called, for lack of better terms, the precapitalist system. The taking into account of the "misfits" of politics and political power forces us to acknowledge the necessity of a philosophical and political construction that their presence suppose as far as citizenship in general is concerned. We witness the crisis of the whole prominent paradigm based on the territorialisation of rights and the idea of a human nature reduced to a single form of rationality, of truth and universality. It is also the principle that structures social order and our representation of the social and political world, that is to say work, that is questioned. The declining of the Social State is not without consequences upon the qualification as a citizen. Citizenship will remain the principle of the social link only by restoring the conditions of functioning and the authority of the Social State.
L’EXCLUSION, SERGE PAUGAM
L’exclusion est devenue en France un paradigme social. Ce mot révèle, en effet, un problème général à partir duquel la société dans son ensemble prend conscience d’elle-même et cherche des solutions aux maux dont elle souffre. Il renvoie en même temps aux angoisses de nombreuses franges de la population, inquiètes face au risque de se voir un jour prises dans la spirale de la précarité, et exprime le sentiment presque généralisé d’une dégradation de la cohésion sociale. Après avoir rappelé les principaux facteurs de l’émergence de ce paradigme, cet article tente à la fois d’expliquer son caractère équivoque et les malentendus qu’il entretient parfois dans le débat social et de formuler les éléments d’une réflexion sur les conditions de son usage en sciences sociales et sur les apports de la recherche. Il aboutit à la conclusion selon laquelle la notion commune d’exclusion est inévitablement placée au coeur du débat social et ne peut pas être en cela une catégorie de la pensée scientifique. Mais, en raison justement de sa diffusion dans le grand public et son entrée dans la sphère des politiques sociales, elle ne peut être évacuée par les chercheurs qui entendent analyser comment chaque société se régule par le rapport qu’elle instaure entre elle et les populations qu’elle considère comme « pauvres » ou « exclues ». C’est en ce sens que les recherches en sciences sociales proches de la thématique de l’exclusion ne peuvent être ni totalement étrangères aux expressions du sens commun qui expriment ce rapport social, ni totalement absorbées par elles. L’exclusion ne peut donc être pour les chercheurs qu’un concept-horizon ou, en d’autres termes, un indicateur d’une réalité qui reste à découvrir.
Exclusion, Serge Paugam
Exclusion has become a social paradigm in France. This word reveals, indeed, a general problem from which society as a body becomes aware of itself and looks for solutions. It is also relevant of the anxiety suffered by numerous fringes of the population, worried at the prospect of being swallowed in the spiral of precariousness, and expresses the almost general feeling of a degradation in social cohesion. After scanning the main factors of the emergence of this paradigm, this article tries both to explain its ambiguous character and the misunderstandings it sometimes keeps in the social debate and to formulate the elements for a reflection about the conditions of its use in social sciences and the contribution of research. It comes to the conclusion that the common notion of exclusion is inevitably at the heart of the social debate and cannot, by matter of consequence, be restricted to a category of the scientific field. But precisely because of its diffusion to the public at large and of its entry into the sphere of social policies, it cannot be swept away by researchers who intend to analyse how each society regulates itself through the relation it establishes with the populations it considers as "poor" or "excluded". It is in that sense that the research in social sciences close to the theme of exclusion can be neither totally alien to common-sense words which express this social relation, nor totally absorbed by it. Exclusion can therefore only be a horizon-concept for researchers, or, in other words, an indicator for a reality that is yet to discover.
PRESSE ET EXCLUSION, GÉRAUD LAFARGE
Cet article cherche à rendre compte de la contribution du champ journalistique dans la production du problème de « l’exclusion » comme un « problème social ». À partir d’observations statistiques et d’interviews, on montre comment la majorité des grands quotidiens nationaux ont participé, à partir du début des années Quatre-vingt-dix, à l’émergence d’un débat qui reprend ceux qui se tiennent dans le champ politique. Cependant, au delà de l’analyse de cette tendance générale, cette étude rappelle ce que les produits journalistiques doivent à leurs conditions de production et à la position différentielle qu’occupent leurs utilisateurs dans le champ journalistique.
Press and exclusion, Géraud Lafarge
This article illustrates the contribution of the press field to the regarding the problem of "exclusion" as a "social problem". Based on statistic observations and interviews, it shows how the major national newspapers have been participating, from the early 90’s, to the emergence of a debate that synthesises those of the political field. However, beyond the analysis of this general trend, this paper reminds us the extend of what journalistic products owe their conditions of production and the differential position occupied by their users in the field of journalism.
LES SYSTÈMES D’ÉCHANGES LOCAUX, SMAÏN LAACHER
Depuis plusieurs années la question de la cohésion sociale est au centre des passions politiques. Préserver, malgré les multiples formes de précarisation et de remise en cause des protections, une volonté de vie commune est, à l’évidence, un enjeu, non seulement relativement neuf, mais aux conséquences parfois inédites. La crise, qui touche inséparablement aux manières de produire et aux mécanismes de distribution des richesses, autant dire à l’ensemble de la société, oblige, en particulier les plus vulnérables (virtuellement ou réellement), à élaborer des « parades » (de nouveaux liens sociaux) qui, même si elles sont économiquement et spatialement limitées tentent néanmoins, en ces temps de fatalisme politique, d’associer critique sociale et « pratiques radicales ». L’expérience relatée ici, celle des systèmes d’échanges locaux (SEL), en est une illustration.
Local exchanges systems, Smaïn Laacher
For several years the issue of social cohesion has been at the heart of political passions. To preserve a desire of life in common, in spite of the multiple forms of precarisation and questioning of protections, is not only a rather recent stake but sometimes comes out with unexpected consequences. The crisis that affects the methods of production and the mechanisms of distribution of wealth - in other words the whole society- forces the most vulnerable (virtually or actually) to elaborate "parades" (new social links), which, even if limited in space and means, attempt, in these times of political fatalism, to nonetheless associate social criticism and "radical actions". The experience mentioned here, local exchange systems (SEL), illustrates the matter.
QUE FAIRE DES QUARTIERS EN DIFFICULTÉ ?; PATRICK CHAMPAGNE
La concentration de la misère est au principe de difficultés spécifiques qui rendent impossible tout traitement social et s’opposent à une intervention efficace des services publics dans nombre de cités. C’est à ce processus et aux effets qu’il engendre sur les relations entre les habitants, les liens entre les générations au sein des familles, qu’est consacrée cette étude. Cette dernière serait incomplète si elle ne s’accompagnait pas d’une analyse des différentes formes de retrait de l’État, désengagement qui aboutit à une sorte de sentiment d’abandon partagé par tous.
What can be done with underprivileged districts?, Patrick Champagne
The concentration of poverty is at the root of the specific difficulties that resist any social treatment and forbid efficient intervention from civil services in a number of cities. This study’s topic is the process of this concentration, its effects on the relations between the inhabitants, and the links between generations within families. This work would be incomplete without an analysis of the different forms of the State’s withdrawal, a disengagement that leads to a feeling of forsaking shared by everyone.
COMMENT SE TISSE LE LIEN SOCIAL ?, CATHERINE WIHTOL DE WENDEN
Plusieurs approches se sont succédé dans les relations entre les politiques publiques et les associations traitant de l’immigration ou issues de celles-ci, depuis l’accès au service public des années 1975-80, en passant par la médiation et le civisme des années 1985-90, puis jusqu’au « faire faire » où l’État délègue aux associations civiques une partie importante de sa politique d’intégration qu’il voudrait néanmoins nationale, en dépit des particularités locales de toute mouvance associative. C’est cette évolution des relations entre l’État et les associations qui sont analysées, grâce à des enquêtes menées successivement en 1977-78, 1987-89 et 1996. Trois âges se dessinent, qui correspondent à autant de générations associatives dans leur rapport à l’État.
How is social link achieved?, Catherine Wihtol de Wenden
There was a succession of different approaches regarding the relations between public policies and associations dealing with the treatment of immigration, from the access to public service in 1975-80, through mediation and good citizenship in 1985-90, to the "make do" when the State delegates an important part of its integration policy to civic associations, which it nevertheless would like to remain national, in spite of the local particularities that are the lot of any associative movement. We have tried to analyse this itinerary between the State and associations, under the scanning of public policies and action, with the help of field surveys led from 1977-78, 87-89 and 1996. Three ages can be drawn, corresponding to as many associative generations in their relation to the State.
L’ACTUALITÉ DES SOLIDARITÉS FAMILIALES, CLAUDINE ATTIAS-DONFUT
Les solidarités familiales sont analysées dans cet article sous l’angle de l’entraide intergénérationnelle, dont la vitalité se manifeste notamment dans la vie domestique et économique. Quelques résultats tirés d’une enquête nationale trigénérationnelle, et concernant d’une part divers services, d’autre part les dons d’argent, en témoignent. Cette enquête, menée auprès de familles comportant au moins trois générations adultes - un représentant de chacune d’elles ayant été interrogé au sein d’une même famille - a permis d’observer l’évolution des relations entre générations dans les lignées multigénérationnelles, caractéristiques des structures modernes de la parentèle. L’enquête montre aussi la complémentarité des transferts privés, orientés majoritairement vers les jeunes, et des transferts publics, organisés par les systèmes de protection sociale, bénéficiant largement aux personnes âgées. Il en résulte une remise en question des termes du débat sur l’équité entre générations. Loin de générer une « guerre des générations », les systèmes publics de protection sociale, ont, au contraire, pour effet de stimuler les solidarités privées entre générations et de produire du lien social.
The actuality of family solidarities, Claudine Attias-Donfut
In this article, family solidarities are analysed under the angle of intergenerationnal assistance, the vitality of which is particularly present in the domestic and economic life. A few results from a national survey based on a three generations span, concerning miscellaneous services on one hand, and financial help on the other hand, stand as evidence. This survey, was carried out with families including at least three adult generations — a representative from each generation of one family was interrogated, in order to observe the evolution of relationships between generations within multigenerationnal lineage, characteristic of kinship’s modern structures. It also shows the complementarity of private transfers, mostly toward the young, and public transfers, organised by the systems of social protection, largely benefiting old people. What results from it, is a questioning of the terms of the debate about equality between generations. Far from generating a "generation war", the public systems of social protection, on the contrary, stimulate private solidarities between generations and produce social links.
POLITIQUES FAMILIALES ET INÉGALITÉS SOCIALES, FRANZ SCHULTHEIS
L’intervention étatique dans les affaires familiales a une double face : une protection légale des libertés individuelles et un risque, celui d’une paupérisation des familles monoparentales. Par le droit social de la famille, l’État tente de compenser les risques qui découlent de l’application du droit civil. Alors que l’État lié aux systèmes de sécurité sociale se limitait à la définition et à l’institutionnalisation d’un nombre limité de « risques sociaux », attachés aux modes de production industrielle, la logique typique de l’État providence moderne s’en distingue par l’engendrement récurrent de nouveaux risques sociaux. L’étude des effets qu’a générés le programme « Mutter und Kind » sur les femmes qui en ont bénéficié montre que, pour éviter ces enchaînements, il conviendrait que les mesures de politiques sociales soient envisagées de manière globale et ne visent plus à pallier les difficultés momentanées que rencontrent des populations « cibles ».
Family, Policies and social unequality, Franz Schultheis
State intervention in family affairs is double-sided: a legal protection of individual liberties, and a risk, the pauperisation of single parents. Through social family rights, the State contributes to compensate the risks attached to the enforcement of civil rights. Whereas the State, tied to social security systems, only used to define and institutionalise a limited number of "social risks" linked to the modes of industrial production, the typical logic of the modern Welfare State differs by recurrently generating new social risks. The studying of the effects generated by the program "Mutter und Kind", with regard to the women who benefited from it, shows that in order to avoid this train of consequences, social policies should consider a more global approach rather than trying to palliate the temporary difficulties met by "target" populations.
LE LIEN SOCIAL NE SE DÉCRÈTE PAS, SANDRINE GARCIA
Le projet de loi sur la cohésion sociale, dont le cheminement a été interrompu par les élections législatives anticipées, était révélateur d’une prétention politique à générer du lien social, indépendamment des logiques qui président à l’exclusion. Censée exprimée une prise en considération politique de la multiplication des inégalités. Cette loi témoigne tout aussi bien du renoncement de l’État à assumer un rôle politique, celui de régulateur des rapports de force entre les groupes sociaux, pour ne remplir qu’une mission de charité publique. Car les aspects centraux de la loi concernent tous des « missions » qui relèvent déjà du rôle de l’État : droit au logement, à l’éducation, à la santé, etc. Qu’ils relèvent d’une loi particulière révèle les effets de la coupure entre « la main droite » et la « main gauche » de l’État. Celui-ci n’hésite d’ailleurs pas à réprimer les acteurs qui tentent de prendre en charge collectivement leur destin social (DAL, « sans-papiers », etc.)
Social link cannot be achieved by decree, Sandrine Garcia
This article aims at showing how the bill on social cohesion, proposed by the RPR (Republican Party) consistent with Jacques Chirac’s campaign, actually means the disengagement of the State. As a matter of fact, all the measures presented in the bill isolate "social poverty" from its social and political conditions of production, to become the object of public charity. They concern all the rights that should be the responsibility of civil services (education, health, access to vote, etc.), in contradiction with an essentially liberal policy. To claim the making of "social cohesion" by means of a law at the very time when the representatives of the State renounce its missions, comes up to not only institutionalise a radical break between politics and economics, but also between politics and social relief, handed over to charity.
DROIT DU CONTRAT ET TRAVAIL SOCIAL, GÉRARD COUTURIER
Selon toute apparence, le contrat occupe aujourd’hui une place importante dans la réflexion sur la méthodologie du travail social. Il s’agit de contribuer à ce débat en présentant ici un parallèle entre le rôle du contrat en droit social et la fonction du contrat dans le travail social.
En droit social comme dans la méthodologie du travail social, le contrat est d’abord un modèle, une idée-force. On s’efforce d’en analyser les composantes. Il n’y a pas de contrat sans une liberté de départ, une autonomie des volontés sur laquelle les juristes ont beaucoup théorisé. Faut-il ajouter que le contrat implique aussi la négociation, donc la discussion, et l’opposition d’intérêts ? Il n’y a pas de contrat sans des engagements pris, il faut donc une volonté de s’obliger qui implique projection dans l’avenir. La réflexion sur le modèle contractuel, en droit social, alimente des discussions très actuelles sur le rôle véritable du contrat dans l’approche juridique de la relation de travail, la diversité des contrats correspondant à la diversification des types d’emplois, le dépassement du contrat de travail traditionnel par le « contrat d’activité » préconisée par la Commission Boissonnat.
Essentiellement, le contrat est aussi un instrument. Les utilisations très diverses que l’on prétend en faire font surgir bien des interrogations. Il arrive même que l’on ait à se demander si ce qui est présenté comme contrat a réellement cette nature. La question se pose à propos de bien des interventions des pouvoirs publics, notamment dans le domaine des emplois ; par exemple, les conventions du Fonds National de l’Emploi (celles sur la base desquelles s’opèrent, en particulier, les départs en pré-retraite) ont-elles réellement une nature contractuelle ? Elle se pose aussi à propos des contrats prévus au titre des dispositifs d’insertion et de réinsertion. On pense tout particulièrement au « contrat d’insertion » prévu par la législation sur le RMI : la question de savoir dans quelle mesure il s’agit là d’un véritable contrat est un sujet de préoccupation majeur tant pour les juristes que pour les travailleurs sociaux.
Law of contract and social work, Gérard Couturier
The notion of contract seems to be taking a growing importance in the reflection field of methodology in social work today. The contribution to the debate will be a parallel between the role of the contract in social law and its function in social work.
In social law as well as in the methodology of social work, the contract is primarily a model, a concept. The author attempts to analyse its components. A contract implies freedom at the start, an autonomy of wills on which legal experts have abundantly theorised. Needless to say that a contract also goes along with negotiation, therefore discussion and possible conflicting interests. A contract means commitments, that is to say a readiness to force oneself, which supposes an ability of self-projection in the future. The reflection about the model of the contract in social law feeds the current discussions about about the definite role of the contract in the legal approach of work relations, the diversity of contracts squaring with the diversity of types of employment, the replacing of the traditional contract of employment by the « contract of activity » recommended by the Boisonnat Commission.
Essentially, the contract is also an instrument. The quite varied uses some people expect to do with it raise many interrogations. One even comes to wonder if what is presented as a contract is relevant to the nature of a contract at all. This question concerns many interventions of the administration, especially in the field of employment; for example, are the agreements of the National Fund for Employment (more particularly those concerning the early-retirement leaves) really of a contractual nature? Same thing about the contracts related to insertion and reinsertion policies. The "contract of insertion" proposed in the legislation on the RMI (Minimum Revenue for Insertion) more particularly comes to mind : the question of knowing to what extend this actually is a contract, is a major issue for jurists as well as for social workers.
L’ÉMERGENCE D’UNE PROFESSION, ÉVELYNE DIEBOLT
Le travail social puise ses racines dans l’avènement de la société industrielle et l’émergence de la classe ouvrière. Il se heurte aussi aux ruptures événementielles que sont les conflits armés, et plus particulièrement les deux guerres mondiales. De nombreuses initiatives ont été lancées - notamment par des femmes - afin de répondre aux nouveaux besoins. Mais là où certains veulent parer à l’immédiat d’autres misent sur l’action à long terme.
Pendant l’entre-deux guerres, l’État et ces nombreuses associations vont tenter de mettre en place un équilibre satisfaisant. Certains y trouvent leur compte dans la reconnaissance professionnelle, d’autres déplorent la réduction du travail social à la simple assistance et prévention. Ce riche laboratoire que furent les années Vingt et Trente, avec ses convictions et ses déceptions a jeté les bases du travail social d’aujourd’hui.
Trois grandes étapes marquent l’évolution du secteur associatif :
- 1900 à 1920 : naissance et premières tentatives de collaboration avec l’État, suivie d’une période de consolidation ;
- 1920 à 1939 : émergence du travail social, sa reconnaissance et ses crises de croissance, grâce à ces associations ;
- entre 1945 et 1965, le face-à-face se transforme en méfiance institutionnelle : les associations décident de se fédérer pour dialoguer avec un nouvel organisme : la Sécurité sociale.
The emergence of a profession, Évelyne Diebolt
The roots of social work are to be found in the advent of the industrial age and the emergence of the working-class. It also had to live through the breaks caused by armed conflicts, more particularly the two world wars. A number of initiatives were launched —noticeably by women— in order to meet the new needs. Some were concerned with providing immediate and urgent action, others favoured long- term policies.
Between the two World Wars, the State, along with these numerous associations, attempted to find a satisfying balance. Some social workers were content with getting professional recognition, while others deplored the shrinking of social work to a role of mere assistance and prevention. The 20’s and the 30’s have been a rich laboratory, which —notwithstanding its certainties and disappointments— set the grounds for today’s social work.
Three periods are milestones in the evolution of the associative sector:
- 1900 to 1920: birth and first attempts at collaborating with the State, followed by a period of reinforcing;
- 1920 to 1939: emergence of social work, its recognition, and growth crisis, thanks to those associations;
- between 1945 and 1965, in the aftermath of the Second World War, the dialogue gives way to institutional mistrust: the associations decide to gather into a federation to negotiate with a new organization: Social Security.
MICHEL FOUCAULT ET LE TRAVAIL SOCIAL, REMI LENOIR
Si la notion de « contrôle social » désigne le contrôle que toute société exerce sur elle-même pour maintenir son ordre, ce truisme ne participe-t-il pas d’une « mythologie » savante qui n’a pas été sans effet dans le milieu des travailleurs sociaux au cours des années Soixante-dix ? Cette notion s’est diffusée dans cet univers par la lecture directe et surtout indirecte de l’œuvre de Michel Foucault, notamment de Surveiller et Punir. On ne peut comprendre les raisons de ce succès qu’en rappelant les propriétés sociales et familiales des travailleurs sociaux qui commencent à exercer à cette époque.
Michel Foucault and social work, Remi Lenoir
If the notion of "social control" is the control that any society exerts on itself to maintain its order, does it imply that this truism is part of a scholar "mythology" which influenced the circle of social workers throughout the 1970’s? This notion was spread by the direct and indirect reading of Michel Foucault’s works, particularly Discipline and punish. One can understand the reasons of its popularity only by reminding the social and familial properties of the social workers who started to practice at that time.
L’ÉVOLUTION D’UN MÉTIER, FRANÇOIS ABALLÉA
Analyser l’impact de la décentralisation, c’est à-dire d’un changement de pouvoir et de légitimité, sur le travail social est quelque chose de difficile parce que trois phénomènes de nature distincte combinent leurs effets pour produire les transformations que l’on observe aujourd’hui : la décentralisation proprement dite, la recomposition du champ de l’action sociale sous l’effet de la crise et les mutations du milieu professionnel à travers la promotion, notamment, de « l’intervention sociale » (au lieu et place du travail social). Néanmoins, il paraît possible d’essayer de mettre en lumière l’incidence de la décentralisation en la matière. Celle-ci a exacerbé les logiques institutionnelles au sein du champ de l’action sociale (au détriment des logiques professionnelles). Elle a provoqué une transformation des règles et des valeurs du champ en plaçant en position hégémonique un acteur, le Conseil général, qui y était en grande partie extérieur. Elle a affecté le processus de professionnalisation des travailleurs sociaux et leur identité, limitant leur autonomie, générant une concurrence au niveau de l’expertise, manifestant chez les décideurs une incompréhension de l’éthique, affectant l’image du métier. Reste à savoir s’il s’agit là d’une période transitoire liée à l’inexpérience du Conseil général et à sa volonté d’affirmer ses prérogatives nouvelles ou d’une reconception d’ensemble de l’action sociale et, sous couvert d’une réorganisation du travail social, d’une redéfinition de ses missions et de sa place.
The evolution of a profession, François Aballéa
It is difficult to analyse the impact of decentralisation —that is to say the change of power and legitimacy— upon social work, because three phenomenon each of a distinct nature combine their effects and produce the changes we witness today: decentralisation itself, recomposition of the field of social action under the influence of the crisis and the changes in the professional environment through the promotion of "social intervention" in particular, (taking over social work). It seems nonetheless possible to explain the effect of decentralisation upon the matter. Decentralisation has promoted institutional logic inside the field of social action (to the prejudice of professional logic). It has transformed the rules and values of the field by putting the Regional Council —that used to be an outsider— in a situation of monopoly. It has affected the process of professionalization and identity of social workers, limiting their autonomy, generating a competition in expertise, revealing a misunderstanding of the ethics on the deciders’part affecting the image of the profession. The question is to know whether this is only a transitional period due to the lack of experience of the Regional Council and the will to assert its new prerogatives, or whether it is an altogether new conception of social action, and, under the pretext of a reorganisation of social work, a new definition of its missions and place.
LE TRAITEMENT SOCIAL DE LA QUESTION SOCIALE, MICHEL CHAUVIÈRE
Depuis plus d’un siècle, malgré des contextes variables, des hommes et des femmes s’investissent avec conviction et technicité dans le « traitement social de la question sociale » ; et certains en font même profession depuis le début du XXe siècle. Il s’agit pour eux d’œuvrer efficacement, au travers d’organisations idoines, à la transformation des conditions sociales d’existence de leurs concitoyens et des représentations de ces conditions sociales. Cet article analyse les spécificités de ce traitement social. Il en précise d’abord les frontières puis en caractérise les acteurs et les configurations pour l’action. Partant de l’hypothèse que « le social c’est du travail », il cherche ensuite à percer la structure de ce travail du social, en distinguant notamment entre travail matériel et travail discursif, ainsi qu’à en comprendre les modes de fonctionnement et l’historicité.
The social treatment of the social issue, Michel Chauvière
For over one century, in spite of different situations, men and women have dedicated themselves with conviction and technicality, to the "social treatment of the social question"; some of them have even made a profession of it since the beginning of the 20th century. Their purpose is to work efficiently, in the here and now, through competent organisations, at transforming the social conditions of living of their fellow citizens, and the representations of these social conditions. The contribution analyses the specificities of this social treatment. First it sets its limits, then it identifies the actors and conditions for action. Based on the assumption that "social is a lot of work", it tries to make out the structure of this social work, noticeably by making a distinction between physical work and discursive work, as well as by understanding the way of functioning and historicity.
S’INFORMER, LOUIS PINTO
Une étude quantitative auprès d’abonnés d’une revue consumériste a été réalisée pour savoir comment s’acquiert la compétence spécifique qui permet de faire face aux aspects juridiques des « pépins » jalonnant la vie quotidienne (quatre domaines : logement, fiscalité, consommation, travail). Parmi les répondants dominent des membres de professions supérieures et moyennes dotés de certaines propriétés (âge élevé, résidence provinciale ou rurale, capital scolaire relativement faible). Leur besoin de savoir semble refléter le décalage entre le volume du patrimoine à préserver et l’étendue des ressources informatives permettant d’en assurer la jouissance sans problème. Au lieu d’envisager, comme trop souvent, la question de l’information comme un problème neutre de connaissance et de communication, il conviendrait de mieux comprendre le rapport différentiel au droit, et donc, à l’information (dont la réponse au questionnaire est évidemment un bon indice) : on pourrait opposer les techniques de protection des uns aux techniques d’insensibilisation des autres.
Getting information, Louis Pinto
A quantitative survey among subscribers to a consumers’magazine was carried out in order to learn how people get the specific competence that enables them to face the legal aspects of the "troubles" of everyday life (four fields: lodging, taxes, consumption, work). Among the participants who answered the survey, members of upper and middle-class professions, endowed with certain common background (mature age, provincial or country residence, rather low scholar education) were prominent. Their need to know seems to reflect the shift between the volume of the patrimony to preserve and the extend of informative resources allowing them to enter without problems into possession of this patrimony. Instead of taking, as is too often the case, the question information as a neutral problem of knowledge and communication, it would be more relevant to get a better understanding of the differential ratio to rights, and therefore information (for which the answer to the questionnaire obviously gives a good clue): one could oppose some people’s techniques of protection and other people’s techniques of anaesthetisation.
LA QUESTION SOCIALE AUX ÉTATS-UNIS, ÉLISABETH JOLIVET
La paupérisation d’une partie croissante de la population aux États-Unis remet en cause la crédibilité du système économique américain et sa capacité à concilier efficacité et justice sociale. Les mutations récentes du système économique dans ce pays sont une explication possible à cette situation. En effet, elles altèrent les procédures qui permettent à un individu de participer à la création et la distribution de richesses dans l’égalité des chances.
The social issue in the USA, Élisabeth Jolivet
The pauperisation of a growing part of the population in the USA questions the credibility of the american economic system and its ability to conciliate efficiency and social justice. Recent mutations in the economic system in that country are a possible explanation for this situation. They indeed affect the process that allow a person to participate with equal opportunities to the creation and distribution of wealth.