Sociétés & Représentations n° 2, résumés/abstracts

BEAUTÉ DU CADAVRE, MADAME NECKER, OU COMMENT PENSER UNE REPRÉSENTATION DE SOI COMME CADAVRE, ANTOINE DE BAECQUE

À travers l’exemple de Madame Necker, la femme du principal ministre de Louis XVI, mère de Germaine de Staël, et fondatrice de l’hôpital qui porte aujourd’hui son nom, ce texte tente de démontrer comment, à la fin du XVIIIe siècle, peut s’opérer un basculement du scientifique au fantastique, de la langue médicale à celle de l’imagination morbide et doloriste, Madame Necker a sans cesse imprimé de sévères conduites à son propre corps, tenant le journal quotidien de ses fautes et de ses devoirs. Elle mène le travail corporel jusqu’à se confronter par avance à sa propre mort, à son propre cadavre. Elle règle ainsi le cérémonial de ses funérailles et de la conservation de son corps jusque dans les moindres détails afin de repousser encore, jusqu’à la folie, les attaques du temps sur son cadavre.

BEAUTY OF THE DEAD BODY, Mrs NECKER, OR HOW TO THINK A SELF-REPRESENTATION AS A DEAD BODY, Antoine de Baecque

Through the example of Mrs Necker, wife of King Louis XVI’s prime minister, mother of Germaine de Staël and founder of an hospital that stills wears her name, this text aims at showing how, at the end of the 18th century, a toppling-over from science to fantasy, from medical language to a language of morbid imagination could occur. All along, Mrs Necker imposed stern behaviour on herself, keeping a diary of her misdeeds and duties. She pushes that corporal study to the point of facing in advance with her own death, her own dead body. She organizes the ceremony of her funerals and the conservation of her body, in every detail, as to postpone, to the point of insanity, the attacks of time on her dead body.


ÉCRIRE SUR SOI-MÊME, S’ÉCRIRE SOI-MÊME : LE TATOUAGE, ALOIS HAHN

Cet article s’inscrit dans une série de travaux menés sur l’histoire des formes de confession de soi. Le tatouage est une écriture de soi sur soi en même temps qu’il peut être un moyen extrême d’imposition de l’autre dans son propre corps. À cet égard, il s’apparente à l’écriture manuscrite qui, dans sa matérialité, peut être considérée comme un moyen le plus souvent involontaire de manifester son intimité.
En ce sens, avec la multiplication d’instances socialement légitimées à décrypter des formes manuscrites d’expression de soi, on peut être amené à penser qu’on assiste au développement d’une société qui fonctionnerait à la manière d’un “panoptikon sans murs” dans la mesure où les moyens de contrôler les individus seraient graphologiques.

WRITING ONESELF, WRITING ON ONESELF: TATTOOING, Alois Hahn

This article is part of a series of studies about self-confession forms. Tatoo is a self writing on oneself and also an extreme means of imposing the other in one own’s body. In this regard, it is close to manuscript writing which, in its materiality, can be considered as a —often unvoluntary— way of revealing one’s intimacy. In this sense, with the increasing number of instances socially legitimated to decypher manuscript forms of self-expression, one can come to the conclusion that we are witnessing the developping of a society that would function in the same way as a “panoptikon without walls” if the means of controlling individuals were graphological.


L’ÉPREUVE DU CORPS, MURIELLE GAGNEBIN

Les différentes épreuves du corps dans le “Body Art” et le “Land Art” pendant les années Soixante et la transformation de celles-ci aujourd’hui. Parallélismes et mutations. L’entropie du jeu plastique s’applique-t-elle au jeu psychique ?

BODY ORDEAL, Murielle Gagnebin

The different ordeals of the body in “Body Art” and “Land Art” in the sixties and their evolution today. Parallelism and mutations. Does the enthropy of the plastic game apply to the psychic game?


LA FÉMINITÉ VOLÉE : LES CONSTRUCTIONS CORPORELLES ET SYMBOLIQUES CHEZ LES TRAVESTIS MEXICAINS, ANNICK PRIEUR

Pour les travestis la “déconscruction” des sexes n’est pas une question théorique, mais une pratique concrète : ils décomposent la représentation sociale de la féminité et du corps féminin en signes qu’ils s’approprient et dont ils se servent dans une pratique sociale. Cette pratique invite à repenser le processus de la construction sociale des sexes ainsi que les fondements sociaux de la production individuelle d’une apparence et d’une identité sexuées. Ces constructions passent par le corps. Et même s’il s’agit d’un cas “déviant”, dans le sens où il y a rupture entre la biologie et l’apparence, le travestissement devrait permettre de montrer, de façon plus générale, l’importance du corps dans la formation des identités.

STOLEN FEMINITY: CORPORAL AND SYMBOLIC CONSTRUCTIONS OF OF MEXICAN TRANSVESTITES, Annick Prieur

For transvestites, the “deconstruction” of the sexes is not a theoritical question, but an actual practice: they decompose the social representation of feminity and of the woman’s body into signs they appropriate and use in their everyday behaviour. This behaviour invites us to take a new look at the process of the social construction of the sexes and of the individual construction of a sexual aapearance and identity. The body is the vehicle for these constructions. And even if transvestism is a case of “deviation”, in the sense that there is a contradiction between biology and appearance, it should, in a more general way, enable us to state the importance of the body in the making of identity.


LA TENTATION EUGÉNIQUE, ANNE CAROL

La préoccupation eugénique, en France, est déjà présente chez les médecins au début du XIXe siècle. Entre un eugénisme privé, incitatif et pédagogique, et un eugénisme autoritaire, public et sélectionniste, les médecins semblent choisir, dans le contexte angoissant de la fin du siècle, la seconde voie, en évoquant la nécessité de stériliser ou d’interdire le mariage aux mauvais procréateurs. La saignée de la guerre, les incertitudes du savoir, la défense des intérêts de la profession les poussent toutefois à abandonner ces solutions et à prôner la simple visite prénuptiale, promulguée en 1942.

THE EUGENIST TEMPTATION, Anne Carol

Eugenism in France is already a concern for medicine at the beginning of the 19th century. Between a private eugenism, incentive and pedagogical, and an authoritarian form of eugenism, public and elitist, doctors seem, in the anxious context of the end of the century, to choose the second option, advocating the necessity to sterilize or deny bad procreators the right to get married. The human cost of the war, the uncertainties of medical knowledge, the defence of the profession’s interests, force them, however, to discard these solutions, and to prone a simple prenuptial appointment, made mandatory in 1942.


UN FACE À FACE AVEC LA DOULEUR, MARIE-JEANNE LAVILLATE-COUTEAU

Décembre 1846. L’introduction de l’anesthésie inaugure une ère nouvelle pour la chirurgie française. À la faveur de cette rupture, les chirurgiens évoquent les conditions de leur pratique. Ils ne dissimulent ni l’existence ni l’intensité de la souffrance qui jaillit sous leur bistouri, n’occultent ni la violence de leur art ni la lutte sauvage menée contre le patient. Mais la douleur opératoire n’est jamais à l’avant-poste, jamais posée comme le prototype des grandes douleurs, toujours en retrait. Les praticiens ne parviennent pas à assumer ce surplus de douleur qui la rend intolérable, et, plutôt que de reconnaître leur responsabilité préfèrent l’imputer à leurs patients qui seraient d’une pusillanimité excessive. L’excès de douleur trouble leur sensibilité qu’une impassibilité de circonstance se doit de dissimuler. L’anesthésie pourra enfin révéler et apporter un éclatant démenti à l’image légendaire du chirurgien-bourreau.

FACE TO FACE WITH PAIN, Marie-Jeanne Lavillatte-Couteau

December 1846. The introduction of anesthesia ushers in a new era for French surgery. Along with this transition, surdeons start to express themselves about the conditions of their practice. They don’t deny the existence or the intensity of the physical pain they inflict, nor the violence of their art, nor the savage fight against the patient. But surgical pain is never in the foreground, never stated as the prototype of great pains, always kept in the background. Surgeons can’t cope with the excess of pain that makes it intolerable, and, rather than admit their responsibility, choose to put the blame on an excessive pusillanimity on their patients’ part. They conceal their own sensitivity behind a mask of impassibility. Anesthisia will, at last, reveal it and bring an outstanding denial to the legendary image of the surgeon-tormentor.


OUVREZ QUELQUES CRÂNES. DE L’USAGE DU TRÉPAN ET DE LA FRAISE À MAIN AU TOURNANT DU SIÈCLE, THIERRY LEFEBVRE

L’auteur porte un regard rétrospectif sur certaines techniques chirurgicales d’effraction crânienne du tournant du siècle (trépanations, craniectomies) et s’interroge, à travers quelques séquences cinématographiques, sur leur éventuelle pérennité dans le domaine des représentations.

OPEN A FEW SKULLS. OF THE USE OF TREPAN AND DRILL AT THE TURN OF THE CENTURY, Thierry Lefebvre

The author looks back on certain surgical techniques of skull opening at the turn of the century (trepanning, craniectomies) and wonders, through a few scenes of films, about their possible durability in the field of representations.


LES LEÇONS DE L’ANATOMIE, DOMINIQUE CLEVENOT

La science anatomique, qui se développe à la fin du Ve  et au début du VIe siècle pour atteindre son âge d’or au XVIIe siècle, fait du corps de l’homme un objet d’étude. Mais, si le savoir positif accumulé au cours de ces siècles en est l’argument officiel, l’entreprise anatomique revêt une importance culturelle qui déborde largement le domaine de la science. Fondée sur la pratique de la dissection, l’anatomie implique en particulier une remise en question de la notion culturelle généralement admise du corps comme lieu d’identification de la personne. C’est sous cet angle qu’est analysé dans cet article un ensemble de représentations d’anatomies publiques (tableaux d’anatomie du XVIIe siècle hollandais et frontispices de traités anatomiques). Dans cette série iconographique, la pratique de l’anatomie se montre comme intimement liée à l’exercice du regard mais aussi aux questions philosophiques, sociales et juridiques.

THE LESSONS OF ANATOMY, Dominique Clevenot

Anatomical science, which developped at the end of the 15th and the beginning of the 16th century, to reach its peak during the 17th cenury, made the human body an object of study. But, if the positive knowledge built up during these centuries is presented as its official argument, the anatomical enterprise has a cultural significance which encompasses far more than the scientific field. Based on the practice of dissection, anatomy specifically implies a reconsideration of the generally admitted cultural notion of the body as the site of personnal identification. It is from such a perspective that this article analyses a collection of images showing public anatomy lessons (Dutch anatomical paintings from the 17th century and frontispieces from anatomical treatises). In this iconographical series, the practice of anatomy appears as something which is intimately linked to the exercise of the gaze, but also to philosophical, social and judicial issues.


DES CORPS QUI NE SOUFFRENT PAS, FRÉDÉRIC DELMEULLE

Durant les vingt-cinq dernières années, le cinéma gore a généré une représentation originale d’un personnage classique de la mythologie fantastique : le mort-vivant. S’éloignant des concepts qui président à l’imagerie traditionnelle du revenant et rompant avec des origines inspirées du culte vaudou, le mort-vivant s’est incarné sous la forme d’un corps dénué de toute conscience, inaccessible à toute souffrance et peut-être même immortel. Là réside la modernité de cette nouvelle représentation; dans les films gore, seule la conscience définit l’humanité d’un être et le distingue du monstre. La seule souffrance étant alors celle de l’âme. Pourquoi ne pas en conclure que le cinéma réintroduit une certaine spiritualité dans le matérialisme quotidien des sociétés occidentales ?

BODIES WITH NO PAIN, Frédéric Delmeulle

In the lest twenty five years, gore cinema has produced an original representation of a classic character in the fantastic mythology: the living-dead. Taking distances with the traditional concepts of the ghost and breaking with voodoo-inspired origins, the living-dead is now represented as a body void of conciousness, immune to physical pain and perhaps even immortal. Here is the modernity of this new representations; in gore films, conciousness is the sole element that distinguishes the human-being from the monster. The only pain therefore dwells in the soul. Why not draw the conclusion that this genre re-introduces a certain spirituality in the materialism of western societies’everyday life.


JUGER LE VIOL D’ENFANT À LA FIN DU XVIIIE SIÈCLE, GEORGES VIGARELLO

Quelques chiffres laissent deviner un lent changement d’attitude dans cette deuxième moitié XVIIIe siècle, ceux des jugements en appel au Parlement de Paris, par exemple, dont le recensement systématique, de 1725 à 1790, permet quelques comparaisons : un seul de ces jugements concerne un viol d’enfant entre 1725 et 1730, six entre 1760 et 1765, dix entre 1780 et 1785. C’est cette transformation que ce texte tente d’interpréter.

JUDGING CASES OF CHILD RAPE AT THE END OF THE 18TH CENTURY, Georges Vigarello

A few figures show a slow change in attitude in that second half of the eightennth century, figures for judgments in appeal at the Parliament in Paris for instance, the systematic census of which, from 1725 to 1790, allows a few comparisons: a single one of these judgments concerns child rape between 1725 and 1730, six between 1760 and 1765, ten between 1780 and 1785. This text attempts to interpret this transformation.


MALADIE DE L’UN ET SOUFFRANCE DE L’AUTRE, SYLVIE FAINZANG

Observer le conjoint de l’alcoolique c’est tenter de comprendre la souffrance éprouvée par celui qui n’est habituellement pas considéré comme malade et sur la signification de son comportement. Cette interrogation, liée à l’étude approfondie d’une association d’anciens buveurs, met en lumière le contenu sociologique à donner au fait que le conjoint se revendique tout aussi malade que l’alcoolique en repérant sur son propre corps les effets de l’alcoolisme de l’autre. Assumé comme une maladie collective, l’alcoolisme rejaillit sur celui-là même qui ne boit pas nécessairement, comme une maladie contagieuse.

THE DISEASE OF ONE AND THE PAIN OF THE OTHER, Sylvie Fainzang

Focusing on the character of the alcoholic’s spouse, the author studies the pain felt by someone who is not the one usually considered ill, and the meaning of his, or her behaviour. This question, documented by a thorough study of an A.A. association, underlines the sociological aspect of the fact that alcoholics’spouses consider themselves as sick as their alcoholic companion, observing on their own body the effects of the other’s intoxication. Experienced as a collective disease, alcoholism affects the non-drinker in a contagious way.


LA SÉPARATION, FRANÇOIS BONVIN

Ce texte présente l’extrait d’un entretien avec une femme devenue tétraplégique à la suite d’un accident. Ce fragment est centré sur le travail d’une séparation affective.

THE BREAK-UP, François Bonvin

This text proposes a part of an interview with a woman who became tetraplegic after an accident. This piece focuses on the work about affective break-up.


LE CORPS ENNEMI : “C’EST PLUS FRANCHEMENT ÇA...”, SÉVÉRINE MATHIEU

Il s’agit d’un entretien réalisé avec une jeune femme contaminée par le virus du sida. Ses propos semblent montrer que les atteintes de son corps sont pour elle comme un signe de désintégration sociale, au-delà d’une atteinte corporelle. Pour une femme ayant les propriétés de Catherine, un corps malade est synonyme de “mort sociale”. Mais surtout, la “rupture biographique” induite par le VIH la renvoie à une identité qu’elle a toujours tenté de renier au long de son ascension sociale. Elle a le sentiment que sa maladie la replace dans une sorte de “fatalisme biographique”, celui d’une précarité induite par la maladie.

THE BODY ENEMY: “IT’S NOT REALLY THAT ANYMORE...”, Sévérine Mathieu

This paper presents an interview with a young woman infected with AIDS. Her statements seem to reveal that she experiences the affections of her body as a sign of social desintegration, beyond the physical aspect. For a woman with Catherine’s characteristics, a sick body is synonymous with “social death”. Furthermore, the “biographical rupture” initiated by the HIV makes her face an identity that she had always tried to deny while climbing the social ladder. She now has the feeling that her disease traps her in a form of “biographical fatalism”: a precarity induced by the disease.


LA NOTION D’ÉTAT CHEZ ÉMILE DURKHEIM ET MICHEL FOUCAULT, Remi Lenoir

L’objectif de cette mise en parallèle de deux auteurs au “profil épistémologique” si différent mais qui tous deux se sont engagés dans la vie politique de leur temps, est de montrer l’évolution du rapport entre le champ philosophique et celui du pouvoir politique, en France, depuis le début du XXe siècle. Même s’ils sont relativement marginaux dans leur discipline, leurs oeuvres respectives peuvent être considérées comme typiques du rapport que les universitaires entretiennent à l’égard de l’État. C’est donc à cette dimension de leur réflexion et de leur pratique qu’est consacrée cette comparaison.

THE NOTION OF STATE IN EMILE DURKHEIM’S AND MICHEL FOUCAULT’S WORKS, Remi Lenoir

This parallel between two authors whose “epistemologic profiles” are so different, but who both got involved into the politics of their time, aims at showing the evolution of the connexion between the philosophical field and the political power in France, since the beginning of the 20th century. Even though they stand relatively at the margin of their science, their respective works can be considered as typical of the relationship between universitarians and the State. This comparison is, therefore, dedicated to the aspect of their analysis and of their practice.