Sociétés & Représentations n° 19, résumés/abstracts

ESPACES D’ARCHIVES, PHILIPPE ARTIÈRES

Depuis une dizaine d’années semble s’être opéré un changement de régime des archives dans les sociétés contemporaines, dont témoigne la multiplication des lieux d’archivage et de consultation. Les archives ont en effet acquis une place inédite, liée à un processus de sacralisation de papiers, de traces auxquels jusqu’alors, on ne conférait pas la qualité d’archive. Les textes réunis dans ce volume questionnent cette nouvelle valeur à partir du lieu même, fixe ou mobile, institutionnel ou sauvage, privé ou public, qui les conservent.

PLACES OF ARCHIVES

In the last ten years, a change regarding the status of archives in modern societies seems to have taken place, as suggests the multiplication of places for keeping and consulting archives. Archives have taken a new importance, linked to a process of sacralisation of papers, of traces which were not previously considered as archives. The texts collected in this issue look at this development in the very places that keep them, whether fix or mobile, institutional or “wild“, private or public.


TEXTES ET CONTEXTES. LES LIEUX DE LA MÉMOIRE DANS LES MAISONS UBAYENNES, VALÉRIE FESCHET 

Les papiers personnels accumulés au cours d’une vie, conservés dans les maisons en raison d’obligations juridiques et de logiques symboliques, sont soumis à différents cycles (individuels et générationnels) qui s’inscrivent dans des dimensions spatiales spécifiques. Les lieux de conservation, ainsi que les meubles et les enveloppants immédiats (papiers d’emballage, cordelettes, sachets, cartons…) opèrent sur les documents ordinaires des mutations symboliques qui font d’eux des papiers de famille. Les opérateurs binaires, notamment les oppositions chaud/froid, obscurité/lumière, permettent de cerner le dynamisme logique qui est en œuvre dans ce corps à corps saisissant entre les archivistes domestiques et les textes (déclassés ou surclassés selon les périodes) dont ils ont la charge. 

TEXTS AND CONTEXTS. PLACES OF MEMORY IN UBAYAN HOUSES

Personal papers accumulated in a life time, kept in houses for reasons of judicial obligations and symbolical logics, undergo different cycles in specific spatial dimensions. The places of preservation, along with furniture, and enveloping material (wrapping papers, strings, bags, cardboard boxes…) operate symbolic alterations on ordinary documents, that make them family papers. Binary operators, such as oppositions hot/cold, darkness/light, help us understand the logical dynamism between domestic archivists and the texts (declassified or over classified according to the times) they have to preserve.


L’ÉCRIT AU POIGNET, ARLETTE FARGE

L’auteur rappelle que les travaux portant sur les écrits, ici, écrits retrouvés sur des cadavres de noyés au XVIIe siècle - n’existent que parce que d’autres travaux les ont précédés, qui portaient sur le statut de ces archives, leur forme, leurs conditions de production et la manière dont on les fait parler. Ainsi la recherche historique (ou anthropologique) sur ces écrits de pauvres - actes non littéraires d’écriture, bribes de vie - doit-elle tenir compte en particulier d’un mouvement général de notre société qui consiste à « hausser » ces archives du peu. De ces papiers, les historiens n’avaient pas pu jusqu’ici penser qu’ils pouvaient s’inscrire dans une culture de l’écrit, parce qu’émanant d’illettrés. Il s’agit pourtant, sans les surinterpréter, d’essayer de saisir ce qu’ils nous apprennent de ces populations précaires - dont on croyait tout savoir de la vie, et qui disent pourtant autre chose, en se servant de l’écriture.

TEXTS IN THE POCKET

The author reminds us that research about hand-written papers —here writings found on drowned corpses in the 18th century— exist only thanks to previous works about the status of archives, their form, their conditions of production and the way we interpret them. Historical or anthropological research on these notes, written by destitute people —non-literary acts of writing, bits of lives— must particularly take into account a general movement in our society, consisting in “ upgrading “ these archives of the poor. It had never occurred to historians before that these papers might carry a culture of writing, because they had been produced by illiterates. We must now try to make out —without over-interpreting them— what they teach us about these precarious populations, whose lives we thought we thoroughly knew, and who are finally telling us something else through writing.


DE LA MAISON À L’ARCHIVE. EXPLORATION D’UN TRAJET FAMILIAL, NATHALIE GINTZBURGER

Au cœur d'un bourg rural de Gironde, une maison détenue par la même famille depuis plus d'un siècle garde les traces de vies qui s'y sont déroulées, existences ordinaires de petits propriétaires terriens, ouvrant dans la maison en 1901, et pour un quart de siècle, le Café de la Paix. La maison est un lieu particulier de production et de préservation de papiers et d'objets divers, que l'impulsion historienne constitue peu à peu, par le lent travail du classement, de la transcription, des interrogations portant sur les modes et les conditions de production de ces traces, en archive. Les questions de l'histoire peuvent dorénavant être posées.

FROM THE HOUSE TO THE ARCHIVE. STUDY OF A FAMILY TRAJECTORY

In a country town in Gironde, a house owned by the same family for over a century, keeps traces of the lives lived there, ordinary lives of small land owners, who opened in 1901 in their house, the Café de la paix, that lasted for a quarter of a century. The house is a singular place of production and preservation of papers and miscellaneous objects, that the historian impulse slowly organizes, classifies and transcripts. The questions of history can now be asked.


DÉMÉNAGER OU LES AFFRES DES PAPIERS DOMESTIQUES. UN LIEU MINIMAL DE L’ARCHIVE, ANNE MONJARET

C’est au destin des archives domestiques lors de déménagements - de la préparation au transfert, jusqu’à l’emménagement - que s’intéresse ici l’auteur. Ces documents portent les marques identitaires qui inscrivent l’individu dans la société. Dès lors, au moment du passage d’un logement à l’autre, la peur d’un décrochage social le conduit à l’élaboration d’un territoire minimal, constitué de biens personnels dont font partie certains papiers utiles. Ces derniers deviennent une borne administrative et mémorielle mobile qui forme un patrimoine précieux. Quand il n’y a plus de lieu d’archives, même momentanément, ce fonds de l’ordinaire incarne alors le lieu d’ancrage identitaire nécessaire à la définition de l’individu comme être social.

MOVING OR THE AGONIES OF DOMESTIC PAPERS. A MINIMAL PLACE FOR ARCHIVES

The object of this article is the destiny of domestic archives when moving houses, from the preparation for the transfer, to the actual moving in. These documents carry identity marks which inscribe the person into society. So, when moving from a lodging to another, the fear of a social disconnection leads the person to the organisation of a minimal territory, made of personal belongings, among which certain useful papers. These become a mobile administrative and memorial landmark that constitutes a precious patrimony. In the absence —even momentary— of a place for archives, this collection of the ordinary represents an anchor of identity necessary to the definition of the person as a social being.


RENCONTRE AVEC UN BRACONNIER DE L’ARCHIVE, NOËL BARBE, JEAN-CHRISTOPHE SEVIN

Plutôt que de viser une généralisation, cet article-entretien entend éclairer une singularité et une rencontre. C'est en 2003 que les auteurs ont rencontré M. Rebugai, collectionneur de papiers qui, au-delà de leur hétérogénéité, renvoient, dit-il, à « l'importance des choses vécues ». Son entreprise, tant dans son moment inaugural que sa poursuite, peut sembler particulière. Pour autant, par ses dispositifs de collecte, de classement et d'exposition, par le regard qu'il jette sur lui-même, comme par un travail qui se veut combler les déficiences des politiques publiques, ce « braconnier de l'archive » ouvre et prend position sur des questionnements d'ordre général : qu'est-ce qui, et qui, constitue une archive ?

ENCOUNTER WITH AN ARCHIVES POACHER

Rather than generalizing, this article-interview aims at illustrating a singularity and an encounter. In 2003, the authors met M. Rebugai, a collector of papers that, beyond their heterogeneity, reveal the “importance of things lived”, as he puts it. Through his techniques of collecting, classifying and exposing, through the point of view he has on himself, as well as through a work that aims at making up for the deficiencies of public policies, this “archives poacher” raises and takes position on questions of general matters: what and who does constitute an archive?


UN PALAIS POUR LES ARCHIVES : LE PROJET NAPOLEON DANS L’HISTOIRE, VINCENT DUCLERT

Cette contribution à l’étude du « lieu des archives » porte sur le projet de Napoléon Ier de construction d’un vaste dépôt, nommé « Palais des Archives », et qui devait être érigé à Paris sur les bords de Seine au Champ-de-Mars, dans le nouveau quartier administratif que l’empereur destinait au rayonnement et au pouvoir de son État. Mais cette ambition ne vit pas le jour, l’empire se voyant rattraper par les conséquences, notamment financières, de ses défaites militaires. Pour autant, le projet mérite d’être analysé tant il illustre la volonté politique de doter les archives d’une autorité et d’une efficacité, et de les signifier par un monument hors du commun. Il est fructueux, en ces temps d’hésitation voire de repli de la puissance publique pour ses missions fondamentales, d’observer un projet politique pour les archives qui relevait le double défi de l’État et de sa mémoire. 

A PALACE FOR ARCHIVES : NAPOLEON’S PROJECT IN HISTORY

This contribution studies Napoleon Ist ’s project to build a vast depot, named “Palace of the archives”, that was supposed to be erected in Paris, on the Seine’s banks, on the Champ-de-Mars, in the new administrative distrcit the emperor had developed in order to promote the glory and power of his state. But this ambition was never achieved, as the empire began to meet with the —notably financial—consequences of its military defeats. Nonetheless, that project is worth analysing because it shows the political will to endow archives with an authority and efficiency, as well as to signal them by an outstanding monument. It is useful, in these days of hesitation, even of withdrawal of public policies from their fundamental missions, to observe a political project for archives, that took up the double challenge of the State and its memory.


DU MODÈLE À LA CRÉATION. LES BÂTIMENTS D’ARCHIVES EN FRANCE DEPUIS 1960, ELSA MARGUIN-HAMON, FRANCE SAÏE-BELAÏSCH

L’existence de bâtiments spécifiques et conçus par l’État pour ses archives n’est acquise en France qu’à une date récente. Ce n’est qu’après 1945 que se multiplient les bâtiments qui permettent à l’archiviste de remplir dans de bonnes conditions la triple mission qui lui est assignée, conserver, traiter, et communiquer les documents qu’il a sous sa responsabilité. Les années 1960-1990 sont marquées par un élan de constructions sans précédent et, concomitamment, par une réflexion sur les normes et les principes devant présider à la conception de ces bâtiments. À l’absence de modèle en matière de bâtiment d’archives qui prévalait jusqu’au milieu du XXe siècle, se substitue l’image d’un bâtiment très – trop ? – standardisé. Mythe professionnel, réalité ? Quoi qu’il en soit, l’avenir est à la création de modèles pluriels, polymorphes, plus en prise avec un contexte social, historique, culturel, qui dépasse le lieu de l’archive mais que celui-ci peut contribuer à incarner.

FROM THE MODEL TO THE CREATION. ARCHIVES BUILDINGS IN FRANCE SINCE 1960

The existence of specific buildings conceived by the State to keep its archives is recent in France. Only after 1945 did buildings enabling the archivist to fill his triple mission in good conditions —to keep, treat and communicate the documents under his responsibility— start to multiply. The years 1960-1990 were marked by an unprecedented increase of constructions and, concomitantly, by a reflection on the norms and principles that should preside over the conception of these constructions. The absence of models for archives buildings, which prevailed until the middle of the 20th century, gave way to the image of a very (too?) standardized building. Professional myth? reality? Anyhow, the future belongs to the creation of plural, polymorphic models, closer to the social, historical, cultural context, that exceeds the place of archives, although the latter may contribute to embody it.


LE SEMI DES ARCHIVES : LES ARCHIVES EN BALADE OU LA MÉMOIRE PRÈS DE CHEZ VOUS, PHILIPPE BOUET, FRANÇOIS GASNAULT

Dans les années 1980, quelques services d’archives départementales ont exploré de nouvelles formes de médiation en concevant des « archivobus ». Ceux-ci s’inspiraient des « bibliobus », instruments de la politique de lecture publique développés trois décennies plus tôt. À ceci près qu’ils prenaient le risque de transporter des archives et non des livres, et visaient exclusivement le jeune public qu’il s’agissait d’intéresser à l’histoire par l’illustration d’un exemple local, in situ. Avec le « Semi des Archives », un semi-remorque dont l’aménagement scénographique intérieur a été minutieusement conçu, les Bouches-du-Rhône passent d’une démarche de transmission du savoir à une dynamique de partage de la mémoire, et délaissent le clivage des publics entre scolaires et adultes pour une approche intergénérationnelle et participative.

SOWING ARCHIVES : TRAVELING ARCHIVES ORMEMORY AT YOUR DOOR

In the 1980’s, a few local archive departments explored new ways of mediation by conceiving “archivobuses”. These were inspired by “bibliobuses”, instruments of a policy implemented thirty years earlier that aimed at promoting reading. With the difference that they were taking the risk to transport archives, not books, and were meant exclusively for the young public, the point being to get them interested in history through the illustration of a local example, in situ. With the “sowing of archives”, a trailer especially converted, the Bouches-du-Rhône county jumps from a logic of transmission of knowledge to a dynamic of sharing memory, and leaves the antagonism between scholar and adult publics for an inter-generational and participative approach.


UNE ARCHIVE ET SON LIEU : L’IMEC À L’ABBAYE D’ARDENNE. ENTRETIEN AVEC OLIVIER CORPET. PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE ARTIÈRES

Olivier Corpet, directeur de l’Institut mémoires de l’édition contemporaine, expose la genèse et la réalisation du projet d’installation de l’IMEC dans une abbaye médiévale en Normandie. Ce nouveau lieu des archives littéraires et des sciences sociales propose selon lui une nouvelle manière d’envisager le rapport des chercheurs aux matériaux, et plus largement de la société aux documents. L’abbaye d’Ardenne est ainsi à la fois un monument appartenant au patrimoine de la Normandie et contient aujourd’hui cet autre patrimoine que constituent les brouillons, notes, manuscrits des écrivains, philosophes et des éditeurs du XXe siècle.

AN ARCHIVE AND ITS PLACE: THE IMEC IN THE ABBEY OF ARDENNE.

Olivier Corpet, head of the Institute memories of contemporary edition (IMEC), explains the conception and realisation of the IMEC project to settle in a medieval abbey in Normandy. According to him, this new place of archives for literature and social sciences proposes a new way of considering the relationship between researchers and matter, and, at a bigger scale, between society and documents. The abbey of Ardenne is thus both a monument belonging to Normandy’s patrimony and contains today this other patrimony made of drafts, notes, manuscripts by 20th century’s writers, philosophers and publishers.


LES ARCHIVES DU DÉPARTEMENT : UN PALAIS DÉMOCRATIQUE, SYLVIE CAUCANAS, DANIEL FABRE

Inauguré en janvier 2003, le bâtiment des Archives départementales de l’Aude présente une architecture d’une qualité exceptionnelle qui répond aux fonctions actuelles de ce service culturel. Cette construction démontre le caractère central des archives dans la politique de l’histoire locale menée par la collectivité tout en se situant à un moment où le rapport à l’archive est en train de se personnaliser via la multiplication des reproductions déposées localement et via la consultation en ligne. Sylvie Caucanas, la directrice, et Daniel Fabre, ethnologue, s’entretiennent de ce paradoxe, dialoguent sur les transformations actuelles du lieu de l’archive publique et sur les changements profonds dont elles sont le symptôme ambivalent. 

REGIONAL ARCHIVES: A DEMOCRATIC PALACE

Officially open in January 2003, the building of Aude’s regional archives presents an architecture of exceptional quality, perfectly adapted to the functions of this cultural service. This building testifies of the central role of archives in the policy of regional history led by the local authorities, while appearing at a moment when the relation to the archive is being personalized via the multiplication of the reproductions deposited locally, and via on line consultation. Sylvie Caucanas, the director, and Daniel Fabre, an ethnologist, discuss this paradox, talk about the present transformations of the place of public archives and about the profound changes undergone by them as an ambivalent symptom.


CHRISTIAN BOLTANSKI : DIALOGUE AVEC NATHALIE HEINICH

Après une rapide évocation par Nathalie Heinich de quelques installations de Christian Boltanski constituées à partir d’archives, l’artiste décrit et explique le type de relation aux archives qu’il a pu mettre en œuvre au cours de sa carrière, en insistant sur la spécificité de sa démarche par rapport à l’approche scientifique.

CHRISTIAN BOLTANSKI: DIALOGUE WITH NATHALIE HEINICH

Nathalie Heinich first evoques some installations by Christian Boltanski made out of archives. Then the artist describes and explains the kind of relationship to archives he has had throughout his carreer, focusing on its specificity as to a scientific approach.


LE PALAIS DES MÉMOIRES DANS LA CITÉ DU JOURNAL INTIME. PIEVE SANTO STEFANO, ANNA IUSO

Un petit bourg de Toscane situé entre Anghiari et Borgo Sansepolcro vit, depuis quelques années, son moment de gloire. Autrefois négligé, Pieve Santo Stefano est une fois l’an, au centre de l’attention de la presse, de la radio et parfois de la télévision nationale. Que se passe-t-il ? On y a fondé, il y a vingt ans, un centre national d’archives autobiographiques, qui aujourd’hui occupe une position centrale dans la vie culturelle du bourg, de la province, de la région. Mais ces archives représentent-elles vraiment la seule effervescence culturelle du village ? Ou bien s’insèrent-elles dans un réseau de dynamiques aussi invisible que cohérent ? L’analyse traite de cet exemple rare d’une « réhabilitation symbolique » articulée autour d’archives qui, dûment qualifiées, contribuent à refonder un lieu.

THE PALACE OF MEMORIES IN THE CITY OF PERSONAL DIARY

Pieve Santo Stefano, a small —previously ignored-— Tuscan town between Anghiari and Borgo Sansepolcro, has had its moment of glory for a few years. Once a year, Pieve Santo Stefano focuses the attention of the press, the radio, and sometimes, the national television. What happens there? twenty years ago, a national centre for autobiographic archives was founded. Today it has become of foremost importance to the cultural life of the town, the province, the region. Are these archives the only cultural excitement in the village, or are they part of a dynamic network, both invisible and coherent? The author analyzes this rare instance of a “symbolic rehabilitation“, born from archives which were properly qualified and contributed to the rebirth of a place.


APPERTISER LA MÉMOIRE. LES CAPSULES DE TEMPS, UN AUTRE ARCHIVAGE, ODILE WELFELÉ

L’auteur décrit les capsules de temps, objets créés en Amérique du Nord dès avant 1945. Il s’agit de containers utilisés pour conserver pour la postérité une sélection soigneusement opérée d’objets censés représenter la vie quotidienne à un moment donné. Elles doivent être ouvertes à une date fixée à l’avance, déterminée au moment de leur scellement et de leur enfouissement. Confectionnés par une famille, une ville, une entreprise, une université, les capsules de temps se veulent un moyen de lutter contre l’oubli, de laisser un message positif de soi-même et de son époque. Elles échappent aux règles des lieux de conservation publics ou privés, et se présentent, avec l’aide parfois de sociétés spécialisées dans leur fabrication, comme un moyen personnel et indépendant de transmettre une mémoire, un patrimoine.

PRESERVING MEMORY. CAPSULES OF TIME, ANOTHER KIND OF ARCHIVES

The author describes the capsules of time, objects created in North America before 1945. They are containers designed to preserve, for future generations, a selection of objects supposed to be representative of everyday life at a given time. The date of opening is fixed beforehand, when they are sealed and buried. Made by a family, a company, a university, the capsules are meant to prevent oblivion, to leave a positive message of oneself and one’s times. They escape the rules of public or private places of preservation and are considered as an independent and personal means to pass on a memory, a patrimony.


ALAIN ROBBE-GRILLET ET SES ARCHIVES, EMMANUELLE LAMBERT

Alain Robbe-Grillet a déposé l’ensemble de ses archives à l’IMEC en 1998. De ce dépôt sont nés un certain nombre de projets, dont une grande exposition, accompagnée d’un catalogue, et l’édition d’un recueil rassemblant divers textes théoriques et entretiens parus entre 1947 et 2001, Le Voyageur. Ces objets témoignent de la vivacité de l’œuvre, mais aussi de la dynamique induite par l’entreprise de valorisation des archives, dont le traitement ne saurait se limiter à la simple conservation ; plus surprenant, le récit de leur mise en place est l’occasion d’observer le rapport très particulier d’un auteur à ses archives, soit à son passé, dans une entreprise qui met en jeu l’image de l’écrivain, le contrôle de l’œuvre et l’anticipation de la postérité.

ALAIN ROBBE-GRILLET AND HIS ARCHIVES

Alain Robbe-Grillet deposited the bulk of his archives at the IMEC (Institute memories of contemporary edition) in 1998. This donation was the starting point of a number of projects, among which an important exhibition including a catalogue and the publishing of a book gathering miscellaneous theoretical texts and interviews, released between 1947 and 2001, The Traveller. These objects give evidence of the liveliness of his work and of the dynamics induced by the enterprise to enhance the value of archives, the treatment of which does not consist of mere preservation ; more surprisingly, the account of their organization is an opportunity to observe the very peculiar relationship between an author and his archives, that-is-to-say his past, in a venture where the writer’s image, the control over his work and the anticipation of his posterity are at stake.


L’ÉCRIVAIN ARCHIVÉ, DANIEL FABRE

Jusqu’aux années 1780, les écrivains abandonnaient leurs manuscrits aux mains des typographes puisque le livre imprimé était la véritable réalisation de l’œuvre, celle qui éliminait tous les états antérieurs. Hormis dans le cas de ses textes inédits, aucun écrivain classique n’aurait eu l’idée de s’archiver lui-même. La montée en valeur non seulement du manuscrit achevé mais de tous les brouillons et esquisses qui l’ont préparé est ici interprétée comme une pièce importante de la nouvelle conception de la littérature qu’introduit le « sacre de l’écrivain ». On examine la genèse de cette attention au XIXe siècle, qui implique que l’écrivain s’incarne tout particulièrement dans l’écriture tracée de sa main. C’est sans doute dans la dernière phase du sacre de l’écrivain, au XXe siècle, que l’infusion de l’écrivain dans ses archives devient d’autant plus absolue que les institutions de conservation et le champ de la critique ont fait du manuscrit la grande voie d’accès à la présence du créateur.

THE ARCHIVED WRITER

Until the 1780’s, writers used to leave their manuscripts in the hands of typographers, since the printed book was the actual achievement of the work, overwriting all previous states. Except in case of unpublished texts, no writer would have considered self-archiving. The increase in value of not only the finished manuscript, but of every draft and notes that preceded it, is seen here as an important piece of the new conception of literature that introduces the “coronation of the writer“. The author examines the genesis of this 19th century’s concern that implies the writer’s incarnation in anything hand-written. It is probably in the last phase of the writer’s consecration, in the 20th century, that the infusion of the writer into his archives becomes all the more absolute that the institutions of preservation and the field of criticism have made the manuscript the main access road to the creator’s presence.


L’ARCHIVE DANS TOUS SES ÉTATS, FRANÇOISE ZONABEND

Les archives, avant d’être sources de connaissances, peuvent être abordées par le lieu où on les repère, soit par l’aspect physique de leur contenant et de leur contenu, soit encore au travers l’intérêt ou le rejet qu’elles suscitent chez leur inventeur. Lieu de dépôt, esthétique des pièces étudiées, art de parler des fonds, ce sont ces voies que ce texte aborde en reprenant tant les exemples cités dans le dossier qu’en s’attachant à d’autres cas repérés ailleurs. Cette réflexion d’ensemble montre que nos sociétés, qui tentent de mettre l’archive en lieu sûr, sont alors aux prises avec un véritable travail de Sisyphe où les générations s’épuisent.

THE ARCHIVE IN ALL KINDS OF STATES

Before being considered as sources of knowledge, archives can be studied with regard to the place where they were first spotted, either because of the physical aspect of the content or of the container, or through the interest or rejection they provoke in their creator. Place of depot, aestheticism of the observed pieces, art of talking about the collections, those are the aspects studied in this text. This global reflection shows that our societies, trying to preserve archives in a safe place, have undertaken an endless and exhausting work.


LES PAPIERS DE LA GUERRE, LA GUERRE DES PAPIERS, L’AFFAIRE DES ARCHIVES DE SALAMANQUE, STÉPHANE MICHONNEAU

Depuis 30 ans bientôt, un débat déchire l'Espagne à propos des archives de la guerre civile qui furent constituées en 1939 par spoliation dans les zones républicaines récemment occupées par l'armée franquiste puis entreposées à Salamanque à des fins répressives. Depuis le début de la transition démocratique, le gouvernement autonome de Catalogne réclame « ses papiers » au nom de la restitution des biens volés. Mais les gouvernements centraux, les autorités de la région de Nouvelle Castille et les municipalités salamantines successives ne l'entendent pas de cette oreille. De commissions d'étude en comités d'experts, l'affaire a dégénéré en une véritable « guerre des papiers ». Ce conflit d'abord historiographique et archivistique est devenu politique. Finalement il révèle de profondes lignes de fracture mémorielles : c'est l'enjeu de la mémoire de la guerre civile et de la répression franquiste qui se pose là et à travers lui, un débat sur la nature de la démocratie espagnole.

THE PAPERS OF THE WAR, THE WAR OF THE PAPERS, THE CASE OF THE ARCHIVES OF SALAMANCA

For almost thirty years now, a debate has been tearing Spain apart. It concerns the archives of the civil war, constituted in 1939, by means of spoliation, in the republican areas occupied by the franquist forces, and kept in Salamanca with repressive intentions. Since the beginning of the democratic transition, the autonomous government of Catalonia has been demanding “its papers“ in the name of the legitimate restitution of stolen papers. But the successive central governments, local authorities of New Castille and salamantine towns have kept ignoring this request. From commissions of studies to committees of experts, the case has degenerated into a real “war of the papers“. This conflict has become political. It ultimately reveals deep memorial lines of fracture: the memory of the civil war and of the franquist repression is the issue here, and with it, a debate on the nature of the Spanish democracy itself.