Sociétés & Représentations n° 17, résumés/abstracts
PARIS ET LES IMAGES DE L'EAU AU XVIIIE SIÈCLE, ARLETTE FARGE
Une grande partie de la population parisienne et de l'Ile de France vit par l'eau, grâce à elle et avec elle. La Bièvre, la Seine, l'Oise, la Marne, sont des lieux économiques : ainsi, le paysagse modèle les comportements et, dans cette alchimie entre fleuve et peuple, l'historien peut jeter un regard complexe pour en élucider les contours.
Paris and images of water in the 18th century, Arlette Farge
A great part of the population of Paris and its suburbs lives from the water, thanks to it and with it. The Bièvre, the Seine, the Oise, the Marne are rivers of economic importance: so, the landscape shapes behaviours and, in this alchemy between river and people, the historian can have sa complex view in order to clarify its outlines.
PARTIES DE CAMPAGNE, JULIA CSERGO
Imagerie pittoresque des bonheurs dominicaux devenue, avec le Front Populaire, imagerie mythique de la joie populaire, abondante et bon enfant, la partie de campagne désigne cette journée que les citadins qui ne disposent pas de résidence secondaire, passent dans les environs de la grande ville, à la belle saison, en famille ou entre amis, pour se reposer et se divertir au contact de la nature. À travers les représentations de cette circulation nécessairement inscrite dans le mode de vie urbain, se dégagent non seulement des représentations des usages sociaux du temps libre, du délassement et du divertissement parisien, mais aussi, et de façon indissociable, des représentations territoriales : celles de la grande ville, de la dualité de ses images et des images de son peuple ; celles aussi d'une banlieue trop souvent appréhendée à travers les seuls processus d'urbanisation et d'industrialisation et que la promenade du dimanche révèle comme aire de respiration, de récréation, de régénération urbaine, et comme territoire chargé d'histoire.
Country parties, Julia Csergo
A picturesque imagery of Sunday happiness, becoming, during the socialist government of 1936 (known as the Front Populaire) a mythical imagery of popular joys, abundant and good-natured, the country party refers to that day of the week when Parisians who don't own a country house, leave the city for its surroundings, to enjoy nature in a fine weather, to rest and have fun with family or friends. Through representations of that circulation necessarily engraved in the urban way of life, one can study not only the representations of Parisians' social practices concerning leisure time, relaxation and entertainment, but also, in a inseparable way, the territorial representations: those of the big city, of the duality of its images and its people, those, also, of suburban areas, too often seen as a result of urbanisation and industrialisation, which turn out to be, during Sunday outings, areas of respiration, recreation, urban regeneration and a territory laden with history.
LE CHANT DE LA SEINE, MARTIN PÉNET
Au cœur de Paris, la Seine, ses ponts, ses quais tiennent une place particulière, inégalée dans les autres capitales d'Europe. Ils ont inspiré un grand nombre de chansons qui renvoient à des représentations d'ordres temporel et spatial. La Seine y apparaît féminine et ondoyante ; miroir mouvant ou sépulture, elle absorbe les confidences et les destinées tragiques. Ces chansons utilisent également le registre social : le pont, avec ses deux niveaux, permet de jouer sur l'opposition de classes. La description poétique des quais et des personnages qui les hantent l'emporte sur celle du Paris monumental et des lieux du pouvoir. Majoritairement inscrits dans le périmètre du Paris muséifié d'aujourd'hui, les itinéraires évoqués par les chansons aboutissent à deux points de convergence des promeneurs, Notre-Dame et la place de la Concorde, annonçant la reconquête des berges par le piéton et le touriste du XXIe siècle.
The Seine song, Martin Pénet
In the heart of Paris, the river Seine, its bridges, its banks, hold a special place, unrivalled in other European capitals. They have inspired a great many songs, relating to time and space representations. The Seine is described as feminine and rippling; moving mirror or grave, it absorbs confessions and tragic fates. These songs also use a social context: the bridge, with its two levels, is a metaphor for opposite classes. The poetic description of the banks and of the people haunting them, prevails over the ones of monuments and places of power. The itineraries referred to in songs, mostly situated in the museum perimeter of today, lead to two points of convergence for walkers: the cathedral of Notre-Dame and the Place de la Concorde, announcing thus the reconquest of the river banks by the 21st century pedestrian and tourist.
LE PARIS DE MAXIME DU CAMP, ALAIN CORBIN
L'ouvrage de Maxime Du Camp n'est pas un tableau convenu du Paris haussmannien. La rue, l'immeuble, l'appartement n'y figurent qu'incidemment. Il en va de même des espaces verts. L'auteur ne vise ni la description pittoresque, ni l'étude démographique. Le livre s'organise selon la tension entre deux métaphores, celle de l'organisme et celle de la machine, entre le désir de décrire des organes et celui de dire le fonctionnement de rouages, entre l'influence de la physiologie sociale et celle du modèle thermodynamique. L'essentiel est l'analyse du mouvement perpétuel, du ronronnement de la machine que constitue la ville. Du Camp est, avant tout, fasciné par les réseaux, les mécanismes, les engrenages secrets et silencieux. Certes, il partage bien des peurs contemporaines concernant l'étroitesse, l'entassement, l'engorgement, l'infection mais il vise d'abord une revue enthousiaste des techniques de la ville. Très conscient de l'accélération des rythmes, il accorde une grande place à la précaution, à l'exactitude, à la vérification ; ce qui fait du Paris de Du Camp un laboratoire des techniques sécuritaires. Enfin, son observation sociale de la "gouape" pose l'auteur en précurseur de la psychologie des foules, avant même l'insurrection de la Commune.
The Paris of Maxime Du Camp, Alain Corbin
Maxime Du Camp's book is not a conventional portrait of Haussmannian Paris. The street, the building, the apartment appear only occasionally. The same thing goes for open spaces. The author aims neither at a picturesque description nor at a demographic study. The book is organised along the tension between two metaphors, one of the organism and one of the machine, between the desire to describe organs and the desire to explain the mechanism, between the influence of social physiology and the influence of a thermodynamic model. The essential point is the analysis of the perpetual movement, of the purring of the city-machine. Du Camp is above all fascinated by networks, mechanisms, secret and silent gears. Of course, he shares many fears of his time concerning the narrowness, the cramming together, the congestion, the infection, but his main goal is an enthusiastic review of the techniques of the city. Being very aware of the acceleration of rhythms, he gives great importance to precaution, to accuracy, to checking; this makes Du Camp's Paris a laboratory of security techniques. Last but not least, his social observation of the "lout" makes the author a pioneer of crowd psychology, before the Commune upheaval.
DE LA BALADE À LA MANIF', BERTRAND TILLIER
À Paris, à la fin du XIXe siècle, la foule est un objet poétique et politique inscrit dans la modernité, englobant tant les promeneurs du boulevard que les manifestants décidés à occuper l'espace public. Les peintres impressionnistes et post-impressionnistes - Manet, Caillebotte, Monet, Pissarro, Vallotton, Steinlen... - virent dans ces foules parisiennes un sujet moderne. Les moyens du peintre sont-ils pour autant compatibles avec l'éloquence des foules ? La représentation permet-elle de distinguer les foules ?
From strolling to demonstrating, Bertrand Tillier
In Paris, at the end of the 19th century, the crowd is a poetic and political object engraved into modernity, including strollers on the boulevard as well as demonstrators determined to occupy the public space. Impressionist and post-impressionists painters —Manet, Caillebotte, Monet, Pissaro, Vallotton, Steinlein...— saw a modern subject in these Parisian crowds. For all that, are the painter's means compatible with the eloquence of the crowds? Does representation enable to distinguish crowds?
DES "NOUVEAUX EMBARRAS" AUX "RÊVES AUTOMATES" : LES GARES PARISIENNES, STÉPHANIE SAUGET
De 1882 à 1913, prendre le train devient une pratique courante et quotidienne pour beaucoup de Parisiens et de "banlieusards" : le trafic ferroviaire quadruple et les gares ne peuvent faire face à cet afflux toujours croissant de voyageurs pressés et encombrés de paquets. Dans ce contexte de crise de croissance, les représentations sur les circulations dans et autour des gares parisiennes se multiplient et des documents d'étude, jusque là diffusés en "interne", sont publiés largement tant dans la presse spécialisée que généraliste à partir des années 1880. Comment expliquer le succès de ce mode technique de représentation à la fin du siècle ?
Les principaux résultats de cette enquête pourraient être résumés ainsi : notre corpus témoigne en premier lieu d'un besoin dans l'opinion d'outils perfectionnés, appartenant à la culture technique, permettant de rendre immédiatement lisibles au plus grand nombre et "en un seul coup d'œil" les enjeux complexes de la circulation dans les gares. Les cartes, par exemple, mettent pédagogiquement en place des connaissances statistiques qui dédramatisent et aplanissent des circulations mal vécues (i. e des embouteillages, des "embarras").
Il est également représentatif de l'apparition d'une culture nouvelle de planification, de régulation et d'observation des déplacements à la fois individuels et collectifs. Il illustre ainsi le passage d'une conception étriquée des circulations (dite "à la française" par les contemporains) à une conception beaucoup plus ouverte (empruntant à d'autres "modèles" de circulations) et beaucoup plus moderne, porteuse en dernière instance d'un rêve futuriste de circulations machinales mais aussi de craintes diffuses d'attentats anarchistes, d'enlèvements de jeunes femmes, de crimes odieux commis dans l'anonymat d'une foule divagante.
From "new congestions" to "automaton dreams": Parisian train stations, Stéphanie Sauget
From 1882 to 1913, taking the train becomes a common and daily practice for many Parisians and suburbans: railway traffic quadruples and train stations cannot cope with that ever growing rush of travellers in a hurry and cluttered up with packets. In that context of growth crisis, the representations of traffic in and around Parisian train stations multiply, and documents (up to then released "internally") are widely published in both specialised and general press since the 1880's. Why did this technical mode of representation meet with so much success at the end of the century?
The major results of this research could be thus summed-up: first, our corpus reveals a need in the public opinion for advanced tools, belonging to technical culture, allowing to make the complex stakes of circulation in railway stations immediatly "readable" for everyone. Maps, for example, use statistical elements in a pedagogical way, in order to play down unpleasant experiences such as traffic jams and "congestion".
It is also representative of a new culture of planning, of regulation and observation of both individual and collective travelling. It thus illustrates the shift from a narrow minded conception (called "the French way" by contemporaries) to a much more open (borrowing from other "models" of circulation) and modern conception, carrying a futurist dream of automatic circulation, as well as vague fears of anarchist attacks, kidnapping of young women, odious crimes perpetrated in the anonymity of a straying crowd.
D'UNE AUTOMOBILE EN MAJESTÉ À UNE AUTOMOBILE ÉVITÉE, MATHIEU FLONNEAU
Omniprésente dans les rues parisiennes depuis près d'un siècle, l'automobile n'en a pour autant pas toujours été vue et regardée de la même façon. Une panne de la représentation a parfois accompagné ses tours de roue. La présente étude entend analyser, en les superposant, les chronologies respectives de l'auto et de ses photos. Le regard des artistes, qui fait l'objet d'un arrêt sur images, est ici privilégié. Paradoxalement invisible à force de visibilité, l'automobile possède donc aussi une histoire visuelle que ce texte tente d'esquisser.
From a reified automobile to an avoided automobile, Mathieu Flonneau
However omnipresent in the streets of Paris for almost a century, the automobile has not always been seen and regarded in the same way. A break of representation has sometimes gone with the turns of its wheels. The present study aims at analysing, by superimposition, the respective chronologies of the car and of its photos. The artist's vision, which is the object of a freeze-frame still, is privileged here. Paradoxically invisible because of too much visibility, the automobile has therefore a visual history which this article attempts to outline.
EXPLIQUER PARIS À LA TÉLÉVISION, ÉVELYNE COHEN
En novembre et décembre 1958, sont diffusées à la télévision française cinq émissions hebdomadaires consacrées aux Problèmes de la Construction en France. Le ministre de la Construction du gouvernement du général De Gaulle, Pierre Sudreau, et le journaliste Pierre Sabbagh expliquent aux Français la situation du logement, celle de la Région parisienne victime à leurs yeux d'une concentration excessive et "monstrueuse" des activités et des richesses dans la capitale. La seule manière de remédier aux problèmes préalablement diagnostiqués par Jean-François Gravier dans Paris et le désert français est de développer la construction moderne, l'urbanisme et l'aménagement du territoire.
Explaining Paris on television, Évelyne Cohen
In November and December 1958, five weekly programs concerning the Problems of construction in France are broadcast. Pierre Sudreau, the minister of Construction in General De Gaulle's government, and the journalist Pierre Sabbagh explain to the French the housing situation in the Parisian region, a victim, according to them, of an excessive and "monstrous" concentration of activities and wealth in the capital city. The only way to solve the pre-established problems diagnosed by Jean-François Gravier in Paris and the French desert is to develop modern construction and territorial planning.
LES LIEUX DU CRIME, DOMINIQUE KALIFA
À Paris comme ailleurs, les lieux occupent une place décisive dans l'appréhension des réalités et de l'imaginaire du crime. Or la ville fut, au XIXe siècle, l'objet d'amples transformations sociales et urbaines, synthétisées par l'haussmannisation, qui affectèrent en profondeur la topographie du "vice" et de la délinquance. Ce sont les évidences, les déplacements et surtout les pesanteurs de cette topographie que cet article étudie. Adossé à un corpus de textes de grande diffusion (romans-feuilletons et "populaires", chroniques parisiennes, fascicules à bon marché), il montre comment l'imaginaire social s'accommode de ces transformations et joue avec la mémoire des lieux, soulignant la forte autonomie des représentations de Paris.
Crime scenes, Dominique Kalifa
In Paris as anywhere, places are of decisive importance as far as comprehending realities and fantasies of crime are concerned. Yet, during the 19h century, the city underwent ample social and urban transformations, synthesized by Haussmann's projects, which deeply affected the topography of "vice" and delinquency. This article studies obvious facts, shifts and, above all, inertia. Backed by a corpus of widely distributed texts (serial and popular novels, Parisian chronicles, cheap booklets), it shows how social imaginary adapts to these transformations and plays with the memory of places, underlining the strong autonomy of the representations of Paris.
CIRCULATIONS POLICIÈRES, CIRCULATIONS POLICÉES, QUENTIN DELUERMOZ
Dès que le policier en tenue, au milieu du XIXe siècle, circule à proprement parler dans les rues parisiennes, sa marche trouve un écho dans l'imaginaire social, où elle est notamment mise au contact des autres acteurs et mouvements de la rue. À partir d'un corpus varié de médias de grande diffusion, l'article tente ainsi de saisir, dans leur tension et leur décalage, les représentations sociales des circulations policières et celles de la capitale.
Entre 1860 et 1914, on observe un ré-agencement complet des rapports entre les rondes policières et les circulations parisiennes, qui traduit un changement dans les manières de voir le policier, sa fonction sociale mais aussi la ville, la métropole ou le flux urbain. Ces mouvements, qui ne sont pas uniformes ni cloisonnés entre eux, correspondent à des évolutions urbaines, sociales et culturelles plus générales. On lit ainsi à travers eux une évolution de la grille de signification du monde urbain, qui assigne au policier en tenue une nouvelle place symbolique au sein de la capitale, avec laquelle la Préfecture de police va essayer de jouer.
Police circulation, policed circulation, Quentin Deluermoz
As soon as the policeman in uniform started to really patrol in Parisian streets, in mid 19th century, his step found an echo in the social imaginary, where it was put in contact with other actors and movements of the street. Based on a varied corpus of media with a wide circulation, the article aims at understanding, in their tension and shifting, the social representations of police circulation in the capital city.
Between 1860 and 1914, a total rearrangement of the relationship between police patrols and Parisian circulation is observed. This reveals a change in the ways of considering the policeman, his social role and also the city, the metropolis or the urban flow. These movements, which are not uniform or divided up between themselves, correspond to more general urban, social and cultural evolutions. Through them, we can see an evolution of the analytical grid of the urban world, that allots a new symbolical place to the policeman in uniform at the heart of the capital city, with which police headquarters will try to play.
MAIGRET À PARIS, JEAN-LOUIS ROBERT
Dans cet article, l'auteur examine les images du Paris criminel de Simenon au travers de l'intégralité des enquêtes du commissaire Maigret. Une des images les plus fortes est celle du quartier juif autour de la rue des Rosiers, présenté par Simenon comme un monde criminogène, étranger, animal et qu'il convient d'éradiquer. Cette image ne s'efface que dans les années 1950, au profit de celle du monde criminel en partie américanisé des quartiers des Champs-Élysées et de Pigalle. Dans les derniers romans de Simenon, apparaissent ses inquiétudes devant une jeunesse dorée qui renie les valeurs bourgeoises.
Maigret in Paris, Jean-Louis Robert
The author of this article examines images of Simenon's criminal Paris through the exhaustive reading of Superintendent Maigret's investigations. One of the strongest images is the Jewish district around rue des Rosiers, described by Simenon as a potentially criminal, foreign, animal world which should be eradicated. This image lasts until the 1950's, when it is replaced by one of a partly Americanized criminal world in the Champs-Élysées and Pigalle districts. In Simenon's latest novels, a concern about golden youth denying bourgeois values appears.
LÉO MALLET ET SES "NOUVEAUX MYSTÈRES", LUCETTE LE VAN-LEMESLE
Entre anarchisme et surréalisme Léo Malet est l'un des fondateurs du roman noir en France. Dans ses nouveaux "Mystères de Paris", inachevés, on peut distinguer parmi les quinze arrondissements où sont situés les crimes trois types d'approches liées tantôt à la seule idéologie de l'auteur, tantôt nourris de ses multiples expériences de travailleur précaire, tantôt enfin ceux où il réellement vécu. Les premiers sont ceux des privilégiés aux fortunes douteuses, les seconds sont perçus au travers de quelques fonctions dominantes, les derniers enfin intègrent l'expérience et les contacts artistiques de l'auteur. Mais tout baigne dans la nostalgie du temps où les lendemains chantaient encore....
Léo Mallet and his "new mysteries", Lucette Le Van-Lemesle
Between anarchism and surrealism, Léo Mallet is one of the founders of the thriller genre in France. In his new "Mysteries of Paris", unfinished, one can distinguish between the fifteen districts where crimes are situated, three types of approach, relative to, sometimes the author's ideology, sometimes his multiple experiences as a casual worker, or sometimes to places where he actually lived. The first are ones of the privileged people of dubious fortune, the second ones are perceived through a few prominent functions, the last ones finally include the author's experience and artistic contacts. But everything bathes in the nostalgia of a time when the future still promised to be brighter...
PARIS SUR SCÈNE AU XIXE SIÈCLE, ODILE KRAKOVITCH
Paris, dans le théâtre de la Restauration, n'est le plus souvent qu'un décor. Très vite, à partir de 1830, avec la multiplication des mélodrames sociaux, naît le mythe de Paris qui représente la rupture d'une certaine cohésion de la population, les désillusions, la fin des certitudes et de la confiance. La Ville symbolise désormais la solitude, l'inadaptation de l'individu ; Paris attire et fait peur, personnage maléfique et bénéfique. L'adéquation des classes sociales avec les quartiers, en même temps que leur séparation, qui apparaît dans des drames comme Le Chiffonnier de Paris, ou Les Rues de Paris, préfigure ce que sera la capitale sous le Second Empire, à partir de 1860. Paris, à cette date, toujours présent dans les titres des pièces, redevient au théâtre ce qu'il était au début du siècle, un simple décor ; il disparaît en tant que personnage, lieu et symbole des conflits, vrai sujet dramatique.
Paris on stage in the 19th century, Odile Krakovitch
Paris, during the Restauration period, is often nothing but a stage setting. As soon as 1830, with the multiplication of melodramas with social issues, appears the myth of Paris that represents the break in a certain cohesion of the population, disillusions, the end of conviction and trust. The city then symbolises solitude, the maladjustment of the individual; Paris attracts and frightens, a character both good and evil. The adequacy between social classes and districts, as well as their separation, which is shown in dramas such as Le Chiffonnier de Paris, or Les Rues de Paris, prefigure what is to become of the capital city under the Second Empire, from 1860 on. At that date, Paris, still present in the titles of theatre plays, comes back to what it was at the beginning of the century, a mere stage setting; it disappears as a character, a place and symbol of conflicts, a real dramatic subject.
PARIS EN REVUES, CÉLINE BRACONNIER
L'auteure analyse la contribution d'un genre très codifié de divertissement citadin, la revue d'actualités, comme production d'un imaginaire local parisien au tournant du XIXe et du XXe siècles. Elle rend compte d'une offre identitaire en mouvement qui, en fonction des périodes, entre ou non en cohérence avec celles produites dans d'autres sphères de la vie locale. Paris est d'abord mis en scène comme communauté politique intégrative : l'imaginaire revuesque contribue alors au renforcement et à la diffusion des valeurs exaltées depuis l'Hôtel de Ville. La figure centrale du citoyen disparaît toutefois progressivement derrière celle de l'habitant d'une communauté parisienne de plus en plus définie à partir de critères sociaux, culturels et comportementaux dont les revues seraient les productrices autonomes.
Paris in revues, Céline Braconnier
The author analyses the contribution of a very coded kind of urban entertainment, the news revue, as a production of a local Parisian imaginary at the turn of the 19th and 20th centuries. It gives an account of a moving identity supply which, according to periods of time, is in coherence with the ones produced in other spheres of local life. Paris is first staged as an integrative political community: the revuesque imaginary contributes to the reinforcement and the diffusion of the values glorified by the City Townhall. However, the central figure of the citizen gradually disappears behind the one of the inhabitant of a Parisian community more and more defined by social, cultural and behaviourist criteria, of which reviews would be autonomous producers.
DÉCORS PARISIENS DANS AU THÉÂTRE CE SOIR, PASCALE GŒTSCHEL
L'émission de théâtre télévisuel Au Théâtre ce soir (1966-1986) participe à sa façon à la diffusion de l'imaginaire parisien. Réalisée en public au théâtre Marigny par Pierre Sabbagh, elle est nourrie (mais en partie seulement) d'auteurs parisiens. Elle donne à voir le Paris des beaux quartiers et les banlieues aisées. Dans la mesure où ces pièces, que l'on peut qualifier pour l'essentiel de "boulevard", se déroulent dans des décors d'intérieur, elles renvoient au stéréotype du salon parisien. C'est à une bourgeoisie parisienne aisée qu'appartiennent la plupart des personnages : se dessine alors l'image d'un Paris figé socialement, où les luttes sociales n'ont pas leur place, mais dans lequel la modernité n'est pas absente. Ce Paris folklorisé, de "carton pâte", trouve durant de nombreuses années un public enthousiaste qui a l'impression, le temps d'une représentation, d'être invité au théâtre parisien. Cependant, l'émission apparaît au fil des ans de plus en plus décalée.
Parisian settings in "Au théâtre ce soir", Pascale Gœtschel
The television theatre program Au Théâtre ce soir (1966-1986) participates, in its own way, to the diffusion of the Parisian imaginary. Directed by Pierre Sabbagh in front of a live audience at the Marigny theatre, the program is nourrished (but only partly) by Parisian authors. It shows the finest districts of Paris and affluent suburbs. Considering that these plays, which can be qualified as "farces" for most of them, take place in indoor settings, they reflect the stereotype of the Parisian living-room. Most of the characters are affluent Parisian bourgeois: what we see then is a socially freezd Paris, where social struggles have no relevancy, but in which modernity is not quite absent. For many years, that "razzmatazzed" Paris, made of cardboard, finds an enthused audience, who feels, during the time of a performance, they are being invited at a Pariasian theatre. However, with time, the program appears more and more out of step.
BÉCASSINE DANS LA CAPITALE, IRÈNE PENNACCHIONI
Les rues de Paris des années trente se parcourent en compagnie de Bécassine, dans un réalisme figuratif aménagé en vue d'un public de fillettes de la bourgeoisie catholique d'entre les deux guerres. Toutefois le "faire joli" et le "faire rire" n'empêchent pas la précision de l'observation ethnographique du pays urbain et des rapports sociaux qui s'y dessinent.
Bécassine in the capital city, Irène Pennacchioni
The streets of Paris in the 1930's are walked in the company of Bécassine, in a figurative realism adapted for an audience of girls from the catholic bourgeoisie in the period between the two World Wars. However, the "make pretty" and the "make laugh" are no obstacles to the ethnographic observation of the urban country and of the social relationships emerging.
LE CINÉMA DOCUMENTAIRE DANS LA RUE PARISIENNE, MYRIAM JUAN
Au cours des années Vingt, le cinéma est "descendu dans la rue", littéralement, faisant de la capitale l'un de ses sujets de prédilection. Limité dans ses moyens, le documentaire fut le premier touché par ce phénomène, surtout à la fin de la décennie, lorsque, émancipé des autres formes de non-fiction, il attira à lui une génération de jeunes cinéphiles désireux de faire leurs premières armes dans le septième art. Les études historiques n'ont guère accordé à ces films, au mieux, qu'une fonction d'illustration, vivante et émouvante. Or il s'agit d'un matériau protéiforme et ambigu qui, loin d'offrir des documents bruts sur une époque, met en scène la réalité, à partir d'éléments censément tirés, il est vrai, du monde sensible. Ainsi les documentaires tournés dans la capitale pendant les années Vingt montrent-ils les rues de Paris imprégnés des nombreuses mythologies attachées à cet espace tout à la fois réel, symbolique et imaginaire. Itinéraires suivis, difficultés de circulation, usages de la rue, toutes les approches révèlent dans ces films, par-delà leur hétérogénéité, des palimpsestes d'images. Des ruelles du Vieux Paris aux grandes avenues des Beaux Quartiers, en passant par les rues animées par les commerces quotidiens, les documentaires mettent en scène les hésitations de la ville au sortir de la Grande Guerre et ses visages contrastés dans l'imaginaire de l'époque, entre archaïsme teinté de nostalgie et élan vers la modernité.
Documentary cinéma in the sreets of Paris, Myriam Juan
In the twenties, films literally came down into the street and made Paris one of its main subjects. Restricted in its means, the documentary genre was the most affected by this movement, particularly towards the end of the decade when, emancipated from other forms of non-fiction, it drew a generation of young movie-lovers keen to cut their teeth in the film industry. Historical studies at best recognized in these films an illustrative function, that was alive and moving. In fact, they constituted a protean and ambiguous material which, far from offering undoctored documents about an era, presented reality, based on elements supposedly taken, admittedly, from the tangible world. The documentaries made in Paris in the twenties therefore depict the streets of Paris steeped in the numerous myths that people this space both real, symbolic and imaginary. The itineraries followed, traffic problems, the way streets are used, all the approaches show in these films, over and above their heterogeneity, overlapping images. From the narrow streets of the Old Paris to the broad avenues of the smart districts, and the bustling streets of everyday commerce, the documentaries present the city's hesitations just after the Great War and its contrasting faces in the spirit of the time, torn between an nostalgic archaism and the desire for modernity.
BANLIEUE À PART, JEAN-BERNARD POUY
En 1964, Jean-Luc Godard tourne un film, Bande à part, récit énervé et déstructuré sur trois personnes naviguant dans les eaux dormantes de la séduction et faisant des allers et retours incessants entre Paris et sa banlieue. Quarante ans après force est de reconnaître que cette œuvre étonnante nous parle, en biais, d'un changement d'état des lieux et de la fin d'un certain équilibre, celui de la périphérie.
Suburbs apart, Jean-Bernard Pouy
In 1964, jean-Luc Godard shoots a film, Bande à part, a nervous and deintagrated story about three persons navigating in the still waters of seduction and constantly going to and fro from Paris to its suburbs. Forty years after we have to admit that this surprising film draws up, on the bias, a change in the appraisal of things and places and of the end of a certain equilibrium, the one of the periphery.
SARCELLES VILLE RÊVÉE, VILLE INTROUVABLE, CAMILLE CANTEUX
L'histoire de la ville et des grands ensembles ne peut se concevoir sans une histoire de leurs représentations pour laquelle l'audiovisuel est, au XXe siècle, une source précieuse. Le présent article vise, à travers l'exemple emblématique de Sarcelles, à analyser la façon dont le cinéma, la télévision et les films institutionnels, ont représenté les grands ensembles aux premiers temps de leur construction.
Solution à la crise du logement qui sévit en France, mais aussi aux problèmes urbains d'une ville traditionnelle congestionnée et anarchique, édifices immenses, monotones et sans âme, dans lesquels on ne trouve pas ses repères et qu'il convient d'apprivoiser, témoins du progrès, de la modernité, images du futur, les grands ensembles sont l'objet de représentations contradictoires.
Entre adhésion et rejet, curiosité et inquiétude, les documents analysés ébauchent ainsi, indépendamment de leurs spécificités, l'image d'une ville utopique, rêvée et introuvable.
Sarcelles dreamt city, untraceable city, Camille Canteux
The history of the city and big housing estates cannot be conceived without a history of their representations for which audio-visual media are, in the 20th century, precious sources. The present article aims, through the emblematic example of Sarcelles, at analysing how cinema, television and institutional films, represented housing estates at the beginning of their construction.
A solution to the housing crisis in France, but also to the urban problems of a traditional town, congested and anarchic, huge buildings, monotonous and soulless, in which one is unable to find one's bearings and that needs to be tamed, witnesses of evolution, of modernity, images of the future, big housing estates are the object of contradictory representations.
Between support and rejection, curiosity and anxiety, the studied documents draw, regardless of their specificity, the image of a utopian city, dreamt of and impossible to find.
LE PARIS DE GEORGES MÉLIÈS, THIERRY LEFEBVRE
L'œuvre cinématographique de Georges Méliès couvre la période 1896-1909. Elle se compose de quelque 500 films dont une partie (10 %) a pour cadre Paris et ses faubourgs. S'appuyant sur les scénarios publiés par l'Association des Amis de Georges Méliès et après visionnage des courts-métrages rescapés, l'auteur tente de dégager les points forts des représentations élaborées par le cinéaste. Il insiste tout particulièrement sur la prédilection de Méliès pour le Paris populaire, non haussmannien, et sur l'intérêt du metteur en scène pour l'affiche publicitaire.
The Paris of Georges Méliès, Thierry Lefebvre
Georges Méliès' cinematographic work covers the period from 1896 to 1909. It includes about 500 films, among which 10 % take place in and around Paris. After analysing the scripts published by the Association of Georges Méliès' Friends, and after viewing what's left of Méliès's short films, the author tries to make out the strong points of the representations developed by the film maker. He particularly insists on Méliès's predilection for working-class, non-Haussmannian Paris, and on the director's interest for advertising posters.
PARCOURIR PARIS, JEAN EL GAMMAL
Faisant écho à nombre d'expositions (notamment "Identification d'une ville", au Pavillon de l'Arsenal) et de travaux récents, l'étude des mises en scène de l'architecture parisienne du milieu du XIXe siècle à nos jours distingue trois grandes phases de l'haussmannisme à l'Art nouveau, puis en relation avec le "mouvement moderne" et enfin avec le post-modernisme. À travers ce parcours, il s'agit, dans une perspective historique, de présenter les rapports entre architecture et pouvoirs publics, la mise en valeur de certains décors de la capitale et les représentations associées aux architectes, à leurs constructions et à leur notoriété. Ainsi peut-on esquisser, sous un angle particulier, une réflexion sur les signes de la contemporanéité urbaine et les discours qui s'y rapportent.
Going all over Paris, Jean El Gammal
Echoing several exhibitions (notably "Identification of a town", at the Arsenal pavilion) and recent works, the study of the dramatisation of the Parisian architecture, from mid 19th century until today, distinguishes three stages from Haussmannism to Art Nouveau, then in relation to the "modern movement", and finally to post-modernism. The point of this itinerary, in a historical perspective, is to present the relationships between architecture and political authorities, the showing at its best certain settings of the capital and the representations associated with architects, with their buildings and with their fame. Thus we can outline, under a particular angle, a reflection on the signs of urban contemporaneousness and the discourses about it.