Sociétés & Représentations n° 16, résumés/abstracts

“LE CORPS LE PLUS UTILE DE L’ÉTAT” OU COMMENT LA MARÉCHAUSSÉE SE PRÉSENTAIT À LA FIN DE L’ANCIEN RÉGIME, PASCAL BROUILLET

L’esprit de corps naquit dans la maréchaussée entre 1750 et 1760. Il se cristallisa définitivement au moment de la Révolution française. Ce sentiment d’appartenance à une institution particulière se construisit autour de trois affirmations. La maréchaussée constituait une élite, dont le caractère militaire devait être clairement affirmé ; ce corps, “le plus utile de l’Etat”, était cependant oublié par les gouvernants et martyrisé par des ennemis mal identifiés mais nombreux ; cette négligence ou ces attaques étaient d’autant plus iniques que la maréchaussée jouissait de la confiance absolue de la population. Cet argumentaire fut systématiquement repris lorsque la Gendarmerie, héritière de la maréchaussée, fut à son tour menacée de disparition. Il se transforma alors en histoire officielle sur laquelle se fonde toujours l’unité de la Gendarmerie nationale.

"The State's most useful body" or how the constabulary presented itself at the end of the Old Regime, Pascal Brouillet

The esprit de corps appeared in the constabulary between 1750 and 1760. It definitely crystallised at the time of the French revolution. That feeling of belonging to a special institution was built on three assessments. The constabulary was an elite body, with a military characteristic that had to be clearly confirmed; this institution, "the state's most useful body", was however ignored by the government and tortured by —not clearly identified but numerous— enemies; this neglect or these attacks were all the more unjust that the constabulary were totally trusted by the population. These points were systematically stressed when the Gendarmerie, heir to the constabulary, was, in turn, threatened with dissolution. They then became official history on which the unity of the national Gendarmerie still founds itself.


“UN EXEMPLE, UN MODÈLE, UN GUIDE” ? LE GENDARME DES ANNÉES 1930 D’APRÈS LA REVUE DE LA GENDARMERIE, AUDE PIERNAS

Fondée en 1927 par des officiers de gendarmerie parisiens, La Revue de la Gendarmerie, périodique bimensuel et “organe officiel d’étude et d’information”, laisse encore transparaître la silhouette filigranée de Pandore - certes jugée décatie et surannée mais finalement adoptée - alors que le gendarme des années trente se défuble définitivement de son bicorne, de ses bottes… En effet, dans l’ombre du gendarme d’antan se profile la deuxième silhouette, estompée voire prismatique, propre aux années trente, qui s’avèrent être pesantes et traumatisantes pour la représentation du gendarme, vouée aux gémonies lors du 6 février 1934. Ainsi, sous l’estampille de la modernité, la revue délinée les contours d’un gendarme sportif, dévoué, courageux mais surtout professionnel et apte au maintien de l’ordre pour réhabiliter la silhouette atavique et endémique du gendarme de l’Entre-deux-guerres.

"An example, a model, a guide" ? the gendarme in the 1930's according to the Revue de la GendarmerieAude Piernas

Founded in 1927 by Parisian officers of the Gendarmerie, La Revue de la Gendarmerie, a bimonthly periodical publication and "official organ of studies and information", still lets show the implicit figure of Pandore —considered decrepit and old-fashioned but finally adopted— although the gendarme of the 1930's has definitely got rid of his cocked hat and boots… Indeed, the second figure, blurred, even prismatic —characteristic of the 1930's— shows through in the shadow of the old-time gendarme, which is heavy and traumatising for the representation of the gendarme, held up to public obloquy on February 6th, 1934. Thus, under the stamp of modernity, the review draws the outlines of a sportive gendarme, devoted, brave but above all professional and concerned by public order, to rehabilitate the traditional figure of the gendarme of the 1930's.


MILITAIRE, JURISTE ET PROTECTEUR : LE GENDARME DES ANNÉES 1950 ET 1960 D’APRÈS LA REVUE D’ÉTUDES ET D’INFORMATIONS DE LA GENDARMERIE NATIONALEXAVIER PERINET-MARQUET

La Revue d’études et d’informations de la Gendarmerie nationale fut créée en 1949 avec l’objectif avoué de redonner confiance à son personnel, d’apporter des éléments de réflexion à même d’intéresser les lecteurs, mais également de leur fournir une aide utile dans le cadre concret de leurs actions. L’étude de cette revue montre une Institution dont la culture et les traditions sont indiscutablement militaires, mais qui se définie également par une pratique judiciaire permanente. La représentation du gendarme est celle d’un militaire, soucieux de légalité, mais dont l’action n’est pas exclusivement répressive, puisqu’elle se conjugue avec un rôle de protection de la population, une image que la revue cherche à développer. La revue diffuse l’image d’un gendarme soldat de la loi, rempart pour la société contre toutes les agressions dont elle pourrait être la victime, le gendarme apparaissant comme un moine-soldat moderne protégeant la population.

Military, jurist and protector: the gendarme in the 1950's and 1960's according to the Revue d’études et d’informations de la Gendarmerie nationale, Xavier Perinet-Marquet

The Revue d’études et d’informations edited by the national Gendarmerie, was created in 1949 and aimed at giving back confidence to its personnel, at offering them elements of reflection of some interest to the readers, but also at delivering them a useful help in the concrete field of action. Studying this review shows an institution of undoubtedly military culture and tradition, but also defined by a permanent judicial practice. The representation of the gendarme is that of a military, concerned by law, but whose action is not solely repressive since it is conjugated with a role of protection of the population, an image the review seeks to develop. The review carries the image of a gendarme-soldier-of-the-law, as well as a wall protecting society against all kinds of aggressions, the gendarme then appearing as a modern monk-soldier in charge of protecting the population.


EN BLEU ET NOIR… L’IMAGE VISUELLE DU GENDARME DANS LA COMMUNICATION AFFICHÉE DE LA GENDARMERIE (1958-2002), JACQUELINE FREYSSINET-DOMINJON

De 1956 à nos jours, l'image du gendarme affichée par la Gendarmerie Nationale est celle d'un professionnel tous terrains remarquable par sa polyvalence. Motard ou cavalier de la garde, pilote d'hélicoptère ou agent de liaison radio, le personnage est présenté dans sa fonction de protection et de service des autres plutôt que de gardien de l'ordre et chargé de la répression. La figuration tardive de gendarme féminin dans les années 90 ne modifie pas foncièrement la mise en scène iconique des principales valeurs du corps : netteté, rigueur, prestance. Mais elle ouvre la porte à des représentations plus variées du personnage : homme ou femme, sérieux ou souriant, aux diverses couleurs de peau. Le héros s'efface pour laisser la place à des personnes plus humaines.

In black and blue. The image of the gendarme in communication posters edited by the gendarmerie (1958-2002), Jacqueline Freyssinet-Dominjon

From 1956 until today, the image of the Gendarme shown in the posters of the National Gendarmerie, is one of a multi-function professional, remarkable by his flexibility. Motocyclist or horse-guard, helicopter pilot or radio-communication agent, the character is represented in his function of protection at the service of people, rather than as the keeper of order in charge of repression. Although the feminine figure of the Gendarme only appears in the 1990’s, it doesn’t basically change the imagery of the main values of the force: sharpness, rigour, bearing. But it opens the door to a greater variety of representations: man or women, strict or smiling, with different skin colours. The hero figure gives way to a more human person.


ROSSER LE GENDARME DANS LES SPECTACLES DE MARIONNETTES AU XIXE SIÈCLE : UNE ÉCOLE DE RÉBELLION ?, AURÉLIEN LIGNEREUX

Aujourd'hui encore, on ne conçoit guère Guignol ne corrigeant pas le gendarme à grands coups de bâton ; et pourtant cette scène s'est figée au point de se vider de tout sens. Il en allait autrement au XIXe siècle, alors que les Français entretenaient des relations conflictuelles avec une Gendarmerie encore marquée par une logique d'intimidation.
Incontournable, cette scène de bastonnade constitue ainsi un observatoire privilégié pour suivre cette dialectique “compression - explosion”. Archétypale, cette scène restitue fidèlement l'image du gendarme dans la culture populaire ; or, cette image exposée aux réactions de spectateurs prompts à se faire entendre, n'est pas univoque. Du fait de la diversité des publics, une telle interaction invalide les clichés. En puisant dans le répertoire des Guignols, de Polichinelle ou de Lafleur, en respectant les distorsions chronologiques et génériques, cette étude d'une soixantaine de pièces entend montrer les enjeux et les enseignements propres à la scène apparemment simpliste du gendarme rossé.

Beating up the gendarme in the Punch-and-Judy shows in the 19th century: a training for rebellion? Aurélien Lignereux

Even nowadays, it is hard to conceive Guignol not walloping the gendarme with a truncheon; and still that scene got fixed to such a point that it lost its meaning. It used to be quite different in the 19th century, when the French had very adversarial relationships with a gendarmerie whose logic was still one of intimidation. That classic scene of walloping constitutes a privileged observatory to follow this "compression/explosion" dialectic. As an archetype, this scene gives a faithful account of the gendarme's image in popular culture; however, this image exposed to the reactions of an audience who wants to be heard, is not univocal. Because of the diversity of audiences, such an inter-action invalidates the clichés. By looking at the repertoires of Guignol, Punch and Judy or Lafleur, by respecting the chronological and generic distortions, this study of about sixty plays aims at revealing the issues and teachings particular to the apparently simplistic scene of the walloped gendarme.


QUAND ORPHÉE RENCONTRE PANDORE. LE GENDARME EN BALLADES, YANN GALÉRA

La représentation du gendarme en chanson doit beaucoup aux legs structurants du XIXe siècle. Ainsi, Les deux gendarmes de Nadaud constituent un canevas à partir duquel la plupart des stéréotypes gendarmiques. Si cette image est évolutive, puisque l’on passe d’un rustre de la contravention à un gendarme fripon, c’est en général la même rengaine qui sert de modèle à maintes variations. Tantôt tutélaire, tantôt ornementale, voire licencieuse, la représentation du gendarme en chanson reste humoristique. Il faut attendre le succès de Bourvil, juste après la Libération, pour que les figures de Nadaud perdent en pérennité et que d’autres lieux communs s’imposent. Surtout, la chanson populaire offre un bréviaire symbolique spécifique par rapport à la littérature et au cinéma. En raison de sa nature, la chanson se focalise sur la sphère affective et sexuelle de Pandore, renouvelant ainsi singulièrement le creuset des représentations de l’arme.

When Orpheus meets Pandore. The gendarme in songs, Yann Galéra

The representation of the Gendarme in songs owes a lot to the structuring legacy of the 19th century. So, Les deux gendarmes by Nadaud form a framework from which most of the stereotypes of the gendarmes started. Although this image evolves, since it goes from a lout giving people’s particulars to a mischievous gendarme, it is generally the same old song inspiring many variations. Sometimes tutelary, sometimes ornamental, even licentious, the gendarme’s representations in songs remain humorous. It is only with Bourvil’s success just at the end of World War II, that Nadaud’s characters lose their permanence and that other common places appear. Above all, popular songs offer a specific and symbolical bible in comparison with literature and cinema. By nature, songs focus on the affective and sexual world of Pandore, thus radically renewing the crucible of the representations of the force.


CINÉGÉNIE DU GENDARME ? LA SÉRIE DU GENDARME DE SAINT-TROPEZSÉBASTIEN LE PAJOLEC

Pendant longtemps le cinéma français a surtout utilisé le gendarme comme un figurant. La sortie du Gendarme de Saint-Tropez, en 1964, a modifié cette situation. La starification de Louis de Funès a permis à la figure du gendarme d'acquérir une plus grande visibilité dans la société française des années soixante, jusqu'à en faire un héros populaire à travers le personnage de Cruchot. En six films, de 1964 à 1982, Cruchot est devenu une incarnation, en partie caricaturale, du gendarme et de son inscription dans la société. L'étude de ce corpus permet de s'interroger sur la mise en scène d'un corps social, sur les réactions institutionnelles qu'elle suscite et sur le discours idéolgique qu'elle élabore. Ainsi la Gendarmerie nationale oscille-t-elle entre condamnation et utilisation du stéréotype que développe cette série cinématographique. L'examen de ces six films donne aussi à voir les hésitations de la France des Trente glorieuses entre la modernisation du pays et la persisatnce d'un modèle traditionnel, particulièrement sur le plan des mœurs, dont Cruchot est un vecteur zélé. 

Cinegenic of the gendarme? The series of the Gendarme of Saint-TropezSébastien Le Pajolec

For a long time, French cinema used the gendarme's figure mostly as a silhouette. The release of Le Gendarme de Saint-Tropez, in 1964, changed things. Louis de Funès, becoming a star, gave the figure of the gendarme a greater visibility in the 1960's French society, to the point of making him a hero, through the character of Cruchot. With six films, from 1964 to 1982, Cruchot became an incarnation-partly caricatured- of the gendarme and his inscription on society. The study of this corpus makes us wonder about the staging of a social body, the institutional reactions it creates and the ideological discourse it elaborates. Thus, the national Gendarmerie hesitates between condemnation and utilization of the stereotype developed by this cinema series. Watching these six films also lets us see the hesitation of France at a golden age between the modernisation of the country and the persistent traditional model, particularly as far as moors are concerned, a subject on which Cruchot is a zealous vector.


LE RENVERSEMENT DE L’IMAGE DE LA GENDARMERIE DANS L’OPINION CONSERVATRICE ENTRE L’ORDRE MORAL ET LE BLOC DES GAUCHES, ÉDOUARD EGNELL

L’emploi de la Gendarmerie pour faire appliquer la législation anticléricale des années 1880 et 1900 modifie le regard des conservateurs sur une arme dont ils célébraient, traditionnellement, la contribution au maintien de l’ordre et à la défense des autorités. La presse et les brochures catholiques et royalistes reprochent aux gendarmes de se déshonorer en intervenant par surprise, comme de vulgaires policiers, et en bousculant des femmes (les sœurs) et des enfants. Mais l’affection des conservateurs pour les gendarmes ne disparaît pas totalement, et plusieurs commentateurs les présentent comme les victimes du nouveau pouvoir, qu’ils servent sans enthousiasme. Certains républicains ont beau jeu, alors, de se moquer d’une presse conservatrice qui applaudit les “braves gendarmes” mobilisés contre des mineurs grévistes mais dénonce les “grossiers pandores” engagés contre les manifestant cléricaux.

The reversal of the image of the Gendarmerie in the conservative opinion between moral order and the left-wing bloc, Édouard Egnell

Using the Gendarmerie to enforce anti-clerical laws in the 1880's and 1890's changes the opinion of the conservatives on a force they traditionally used to praise for their contribution to law and order and the defence of the authorities. The press along catholic and royalist papers accuse the gendarmes of losing their honour by raiding by surprise, like common policemen, and by jostling women (nuns) and children. But the conservatives' affection towards the gendarmes doesn't totally disappear, and several commentators present them as victims of a new power they reluctantly serve. It is easy then for some republicans to make fun of a conservative press that applaud the "good gendarmes" called against miners on strike but boo the "rude constables" hired against clerical demonstrators.


UN MÉTIER EN CRISE ? LA GENDARMERIE DE LA BELLE ÉPOQUE D'APRÈS SES RETRAITÉS, ARNAUD-DOMINIQUE HOUTE

À la veille de la Première Guerre mondiale, la gendarmerie traverse une crise profonde. À partir de 1909, les comités de retraités qui viennent de se constituer publient deux journaux assez largement diffusés qui permettent de comprendre le malaise des gendarmes. Ceux-ci ne se contentent pas des revendications matérielles classiques. Ils tentent surtout de redéfinir les règles et les principes d’un métier qu’ils s’approprient vivement. Cette entreprise ne va pas sans heurts ni contradictions, mais l’espace des débats trace les contours d’une culture professionnelle solidement ancrée. Critiques envers l’institution, ces gendarmes n’en restent pas moins attachés à leur travail. Leur proto-syndicalisme renforce la gendarmerie plus qu’il ne l’ébranle.

A profession in crisis? The gendarmerie of the Belle Époque according to its retirees, Arnaud-Dominique Houte

At the dawn of the First World War, the gendarmerie goes through a deep crisis. From 1909 on, freshly constituted committees of retirees publish two rather widely distributed newspapers that help to comprehend the malaise among the gendarmes. The gendarmes do not only make usual material demands. They first try to redefine the rules and principles of a profession they are possessive about. This undertaking is full of conflicts and contradictions, but the space of the debates draws the outline of a strongly rooted professional culture. Although critical about their institution, these gendarmes are nevertheless attached to their work. Their proto-unionism strengthens the gendarmerie rather than it weakens it.


COGNES, HOMMES NOIRS ET GRENADES BLANCHES, LES ENJEUX DE LA REPRÉSENTATION DES GENDARMES DE LA GRANDE GUERRE, LOUIS N. PANEL

La Première Guerre mondiale est assurément une des périodes les plus noires de l’histoire de la Gendarmerie. Aux yeux des combattants, l’Arme, absente lors des combats, se résume à ses missions hautement impopulaires de surveillance et de répression de la troupe. “Embusqué” du fait de ses attributions, le gendarme est tenu pour un lâche. À cheval sur un règlement jugé trop strict par des hommes exposés à la mort, il se rend odieux. Le “cogne” devient alors une figure expiatoire de toutes les tensions du front, présente tant dans la littérature que dans la caricature. Mesurant l’étendue du préjudice moral que la durée de la campagne entreprend de lui porter, la Gendarmerie tente à son tour d’allumer des contre-feux, en mettant en avant ses épisodes combattants, ou ses missions les plus valorisantes. C’est donc à une véritable bataille des images que se livrent, avant même l’issue de la guerre, tenants et adversaires de la Gendarmerie de 14-18.

Cops, men in black and white grenades, the issues of the representation of the gendarmes during the First World war, Louis N. Panel

The First World War is certainly one of the darkest periods in the history of the Gendarmerie. For the soldiers, the Force, absent on the battlefields, is only known for its highly unpopular missions of watching and punishing the troop. On a cushy posting because of his remit, the gendarme is considered as a coward. Sticking to rules too strict for men exposed to death, he becomes odious. The “cop” then embodies an expiatory figure of all the tensions of the front, present in literature as well as in caricatures. Taking the measure of the moral prejudice brought by this long campaign, the Gendarmerie then tries to light counter-fires, putting forward its fighting episodes or its most spectacular and rewarding missions. It is therefore a real battle of images which is carried out, even before the end of the war, by the supporters and opponents of the 1914-1918 Gendarmerie.


LA GENDARMERIE À LA UNE. LE REGARD DE LA PRESSE À L'OCCASION DE L'AFFAIRE CORSE, ETIENNE GROS

L’affaire des paillotes a donné une occasion inespérée d’étudier la Gendarmerie. Les nombreux articles et dessins parus ont permis de dégager l’image contemporaine de l’Arme, caractérisée par un mélange de moquerie, de crainte et de respect. Une institution raillée, tout d’abord, grâce à la caricature traditionnelle de Pandore, mais de nouveaux thèmes apparaissent, comme la folie des gendarmes. Ensuite, alertés par l’action GPS et le souvenir de la cellule de l’Elysée, les journalistes craignent de voir cette force de police négliger la légalité au profit de la raison d’état. Enfin, malgré tous les événements qui ont entaché sa réputation, la gendarmerie détient la confiance de la presse, notamment dans l’exercice de ses missions judiciaires.

The gendarmerie on the front page. Reactions of the press concerning the Corsican affair, Etienne Gros

The case of the illegal beach restaurants in Corsica was an un-hoped for opportunity to study the Gendarmerie. The numerous articles and cartoons it inspired brought out today’s image of the Force, characterized by a mixture of mockery, fear and respect. An institution made a laughing stock, first because of the traditional caricature of Pandore, but also of new themes such as the insanity of the gendarme’s action. Then, alerted by the action of the GPS and the memory of the Élysée’s special unit, journalists fear that this police force would favour reasons of State rather than the Law. Finally, in spite of all the events staining its reputation, the Gendarmerie keeps the trust of the Press, notably when the exercise of judiciary missions is concerned.


IMAGES DE POLICIERS, IMAGES DE GENDARMES. VERS UN MODÈLE COMMUN DE REPRÉSENTANTS DE L'ORDRE DANS LA SECONDE MOITIÉ DU XIXE SIÈCLE, QUENTIN DELUERMOZ

À la fin du XIXe siècle, le gardien de la paix parisien et le gendarme, deux agents en uniforme aux fonctions semblables, occupent une place importante dans l'imaginaire social. Cette proximité invite alors à comparer les systèmes de représentations qu'ils suscitent, pour s'interroger ici sur les définitions sociales de l'ordre public. L'analyse montre que, malgré des mouvements communs, les deux figures se différencient au cours de la période. Les représentations du policier s'éloignent peu à peu d'une conception militaire et virile de l'ordre et cristallisent des perceptions et attentes nouvelles. Celles du gendarme finissent par être bousculées par ce mouvement, mais résistent du fait de leurs logiques propres et des politiques de l'institution. Cet ébranlement montre néanmoins l'émergence d'une nouvelle sensibilité à l'ordre, qui s'exprime de façon spécifique en fonction des systèmes de représentations des agents et des réactions différenciées des institutions qu'ils représentent.

Images of policemen, images of gendarmes. Toward a common model of law enforcement representatives during the second-half of the 19th century, Quentin Deluermoz

At the end of the 19th century, the Parisian police officer and the gendarme, both agents in uniform and with similar functions, occupy an important place in society’s imaginary. This proximity leads us to compare the systems of representations they induce, in order here to dig the social definitions of public order. Analysis proves that, in spite of common movements, both figures evolve differently along the studied period. The representations of the policeman differ little by little from the military and virile conception of order and crystallize new perceptions and longings. The gendarmes’representations end up being shaken by this movement, but resist thanks to their own logic and to the policies of the institution. This shaking shows, however, the merging of a new sensitivity towards order, which is expressed in a specific way, according to the agents’systems of representations and to the different reactions of the insitutions they represent.


LES RELATIONS ENTRE POLICIERS ET GENDARMES À TRAVERS LEURS REPRÉSENTATIONS MUTUELLES SOUS LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE (1875-1914), LAURENT LÓPEZ 

L’histoire des relations entre policiers et gendarmes ne semble composée que d’épisodes tendant à faire de ces agents les acteurs irréconciliables de l’ordre. Ces récits construisent un antagonisme qui se nourrit, d’abord, de représentations mutuelles avant d’être une réalité de terrain. Si pour les policiers, les gendarmes ne sont que des militaires dénués de ce “flair” indispensable pour accomplir des missions de police judiciaire, les gendarmes, au contraire, voient les policiers comme les descendants honteux de Vidocq. Ces représentations, qui assument autant une fonction identitaire professionnelle que de positionnement institutionnel, ne sont pas figées et évoluent avec la paysage policier de la Troisième République. La vision, par les gendarmes, de la création des brigades mobiles exprime la transformation des relations avec les fonctionnaires de l’Intérieur, tout en révélant l’image que les officiers se font de leur arme et des missions qui doivent lui être dévolues.

The relationships between policemen and gendarmes through their mutual representations under the Third Republic (1875-1914), Laurent López

The history of the relationships between policemen and gendarmes seems to be only made of episodes aiming at proving the impossibility of reconciliation for these actors of law and order inforcement. These stories build an antagonism first fed by mutual representations before being a field reality. While, according to policemen, gendarmes are nothing but militaries deprived of that “flair” one needs to achieve judiciary police work, gendarmes, on the contrary, view policemen as shameful heirs of Vidocq. These representations, which manage a professional identity as well as an institutional positioning, are not fixed and evolve along with the police environment during the Third Republic. The gendarmes’vision of the creation of the mobile brigades illustrates the change in the relationships between the civil servants of the Home Office, while revealing the image made by officers about their force and the missions due to it.


FIGURES D'UN SOLDAT CITOYEN. LE GARDE NATIONAL SOUS LA MONARCHIE DE JUILLET, MATHILDE LARRÈRE-LOPEZ

L'analyse des usages discursifs, iconographiques ou scéniques de la garde nationale permet de présenter, au regard des figures du gendarme, l'originalité de la représentation d'une force de l'ordre non professionnelle, "citoyenne" par son recrutement mais surtout par les symboles qui lui sont attachés. En suivant les représentations de la milice de 1830 à 1848, dans les milieux officiels comme dans ceux de l'opposition, on verra qu'Orléanistes et républicains font des usages concurrents d'une image de la garde sur laquelle ils s'accordent en partie. Le garde national permet de concevoir une figure de la citoyenneté, plus large que celle de l'électeur censitaire, mais moins inquiétante que celle du peuple souverain.

Figures of a soldier-citizen The national guard under the Monarchy of July, Mathilde Larrère-Lopez

The analysis of discursive, iconographic or stage uses of the national guard allows us to present, with regard to the figures of the gendarme, the originality of the representation of a non-professional law enforcement body, “citizen” by its recruiting methods but mostly by the symbols attached to it. By studying the representations of the militia from 1830 to 1848, in the official milieu as well as among the opposition, we see that monarchists and republicans make opposite use of a certain image of the guard on which they partially agree. The national guard allows the conception of a figure of citizenship, bigger than the one of a tax-paying voter, but not as scary as the one of the sovereign people.


ESSENTIELS ET SANS IMPORTANCE… REGARDS SUR LES GARDES CHAMPÊTRES DANS LA FRANCE DU XIXE SIÈCLE, FABIEN GAVEAU

Les gardes champêtres évoquent de petits employés sans prestige, parfois sans tenue, chargés de l’ordre municipal. Leurs représentations portent des discours sur l’État, les normes qu’il défend, et son service. Écrivains, peintres, graveurs, et, à la fin du siècle, producteurs de cartes postales, utilisent, et contribuent à diffuser, une gamme d’images qui éclairent la personnalité des gardes et les relations qu'ils entretiennent avec les autorités et les habitants des communes. Dans les années 1830, les gardes passent pour des incompétents, des délinquants et des alcooliques au sein d’une société fondée sur le travail et le respect de la propriété. Pour redresser leur autorité, l’État intervient tardivement. Il proclame que ces agents défendent, non pas la propriété, mais la loi, sous la direction des maires. Cette politique échoue, d’autant qu’en parallèle l’État assure le développement d’autres forces de police. Le passage de la fonction champêtre à l’imaginaire folklorique est alors en marche.

Essential and without importance… Looks on local policemen in 19th century France, Fabien Gaveau

Local policemen conjure up the image of little employees without prestige, sometimes without a uniform, in charge of municipal order. Their representations carry opinions about the State, the norms it defends, and its service. Writers, painters, engravers, and, at the end of the century, post-card producers, use, and contribute to spread a range of images which throw light on the policemen’s personalities and on the relationship they keep with the authorities and the local inhabitants. During the 1830’s, the local police are viewed as incompetent, delinquent and alcoholic, in a society based on the values of hard work and respect of private property. To restore their authority, the State finally intervenes. It decides that these agents must defend the law before private property, under the mayor’s supervision. This policy is a failure, all the more so as the State is developing other police forces at the same time. From then on, the transition from local post to folk imaginary is on its way.


“QUE L'ON SOIT TOUJOURS CITOYEN ET SOLDAT”. REPRÉSENTATIONS DE LA GARDE NATIONALE SOUS LA COMMUNE DE PARIS, LISA T. GOODYER

Dans les mois précédant l’avènement de la Commune de Paris de 1871, la Garde nationale de la Seine, nouvellement fédérée et à la composition sociale plus populaire que jamais, était devenue une force militaire - et surtout citoyenne - éminemment impliquée dans le processus révolutionnaire en branle. Si les gardes nationaux sont représentatifs de la base communarde, il importe de dépasser la vision d’un corps pseudo-militaire indiscipliné et miné par la pratique de la démocratie directe. Cet article brosse une esquisse des représentations du rôle et des statuts de la Fédération de la Garde nationale sous la Commune de Paris, notamment en tant que contre-pouvoir révolutionnaire face à la Commune élue. Il illustre cette conception d’une garde citoyenne et démocratique qui semble chercher à mettre en pratique ses principes autogestionnaires sur le terrain des opérations militaires, mais également au cœur des arrondissements, et cela, sans nier la multiplicité des représentations exprimées par ceux qui s’y investirent, inégalement d’ailleurs. 

"Let us always be citizens and soldiers". Representations of the national Guard under the Commune of Paris, Lisa T. Goodyer

In the months before the Commune of Paris in 1871, the national Guard of the Seine, recently federated with a social composition more popular than ever, had become a military —and above all citizen— force, totally involved in the starting revolutionary process. If the national Guards are indeed representative of the grassroots activists, it is important to go beyond the view of a pseudo-military body, undisciplined and undermined by the practice of direct democracy. This article sketches the representations of the role and status of the Federate national Guard under the Commune of Paris, notably as a counter-power to the elected Commune. It illustrates the conception of a citizen and democratic guard that seems to be aiming at putting into practice its self-management principles on the field of military actions, as well as within the districts, and this, without denying the multiplicity of the representations made by those who dedicated themselves, however unequally.


LE MARIÉ ÉTAIT EN BLEU. LES MARIAGES DE GENDARMES DANS LE PUY-DE-DÔME AU XIXE SIÈCLE, CYRIL CARTAYRADE

Jugé incompatible avec l’éthique guerrière du métier militaire, le mariage forge pourtant l’identité sociale des gendarmes du XIXe siècle. Parmi ceux nommés dans le Puy-de-Dôme de 1816 à 1854, 35 % convolent dans ce département quand la compagnie comprend 65 % de soldats mariés. Cette banalisation du fait matrimonial résulte d’intérêts communs. Pour la hiérarchie, le mariage pérennise et moralise la recrue. Le gendarme en retire une promotion mesurée : la dot améliore le quotidien plus qu’elle ne l’enrichit. La notabilité de ce fonctionnaire attire surtout les petits commerçants et artisans. Confortant l’influence locale de sa belle-famille, ce gendre de pouvoir s’avère un beau parti. La solde régulière et une possible mutation en milieu urbain rehaussent le prestige de l’uniforme aux yeux de la future. Convoitées, ces unions restent encadrées. L’administration affirme leur nature corporative par la permission hiérarchique et la présence de témoins issus de l’Arme. Le contrat de mariage protège le bien matrimonial contre le soldat, coureur de dot.

The groom wore blue. Gendarmes's weddings in Puy-de-Dôme during the 20th century, Cyril Cartayrade 

Although being discredited by martial ethics of military condition, marriage forms social identity of nineteenth-century gendarmes. From 1816 to 1854, 35 % of those posted to Puy-de-Dôme get married in this department when the compagny counts 65 % of married soldiers. Convergent interests make matrimony commonplace. For the hierarchy, unions reforme and stabilize the recruits. Gendarmes get a moderate social promotion from marriage: the dowry improves everyday life rather than makes it wealthy. The notability of this official attracts especially small shopkeepers and artisans. Reinforcing the local power of his wife’s family, this influential son-in-law is an eligible bachelor too. A regular pay and a potential transfer to town enhance the glamour of the uniform in bride’s eyes. Coveted, the union stays supervised. On the one hand, authorities assert its corporate nature thanks to an official permission and a presence of gendarmes as witnesses. On the other hand, marriage settlements protect familial property from military dowry-hunter.


MIROIR ! Ô BEAU MIROIR ! LE PREMIER HISTORIQUE DE LA GARDE RÉPUBLICAINE SOUS LE SECOND EMPIRE, FABIEN CARDONI

Le premier historique officiel de la garde républicaine contribue à créer une identité sociale. Occultant toute analogie avec la police, mais mêlant plusieurs stéréotypes, il construit une spécificité. L’image de la garde apparaît également bien différente de celle de la Gendarmerie des pandores. Producteur et produit de représentations, ce manuscrit propose une image sanctifiée et rémanente. Icône et polaroïd, hagiographie et martyrologe, cet historique est également un autoportrait qui va figer l’image de ce corps telle qu’il voudrait être. Discours à usage interne, reflet d’une époque, ce témoignage partisan aide à appréhender les représentations que la garde se fait d’elle-même. Quelles que soient l’étendue de son public et son influence sur celui-ci, ce plaidoyer pro domo constitue une défense de son image contre les représentations exogènes. Mais cette “histoire” est aussi un mirage, une ego-histoire aux enjeux multiples et en partie fantasmée.

Mirror! O dear mirror! The first tracing of history of the republican guard during the Second Empire, Fabien Cardoni

The first official tracing of history of the republican guard contributes to create a social identity. While obscuring any analogy with the police, but mixing several stereotypes, it builds specificity. The image of the guard is also quite different from the one of the Gendarmerie of policemen. Producer and product of representations, that manuscript offers a sanctified and persistent image. Icon and Polaroid, hagiography and martyrdom-report, that history is also a self-portrait, freezing the image of that force as it wishes it to look like. A story telling for internal use, a reflection of an era, this biased testimony helps to comprehend the representations the guard makes of itself. However large its audience and influence on it might be, that pro domo plea is a protection of its image against outside representations. But this “story” is also a mirage, an ego-story with multiple stakes, partly fantasized.


L'IMAGINAIRE COLONIAL DE LA GENDARMERIE À TRAVERS LA REVUE DE LA GENDARMERIE 1928-2000, BENOÎT HABERBUSCH

Acteurs de la colonisation, les gendarmes sont largement absents de la mémoire liée à l'Empire français. La Revue de la Gendarmerie fournit l'occasion de découvrir la vision de l'arme sur son rôle en outre-mer de la fin des années 1920 à l'aube du XXIe siècle. Artisan, voire partisan de l'œuvre colonisatrice, ce corps a exprimé jusqu'à la fin son attachement à ses terres lointaines. N'échappant pas aux préjugés colonialistes, le discours a évolué au fil du temps. La décolonisation a établi de nouveaux repères avec un recentrage sur les DOM-TOM et un dialogue restauré avec les anciennes possessions. La mémoire, elle-même, a évolué, les acteurs directs cédant peu à peu la place aux historiens.

The colonial imagery of the Gendarmerie through the Revue de la gendarmerie, 1928-2000, Benoît Haberbusch

Although they have been actors of colonisation, gendarmes are strangely absent from the memory related to the French Empire. The Revue de la gendarmerie gives us an opportunity to discover the point of view of the force on its role overseas from the end of the 1920's to the beginning of the 21st century. As a maker, even a supporter of colonial work, this institution has proved till the end its devotion to these remote territories. The discourse, notwithstanding some colonial prejudice, has evolved throughout times. De-colonisation set down new marks, with a recentering on DOM-TOM (overseas counties and territories) and a restored dialogue with old possessions. The memory itself has evolved, direct actors giving slowly way to historians. 


LÉON BLOY ET LE BON GENDARME, FRANÇOIS DIEU

Cet article se propose de présenter un récit de Léon Bloy qui met en scène un gendarme retraité que se met dans la tête d'arrêter à lui tout seul l'armée prussienne à l'occasion d'un épisode de la guerre de 1870. Au-delà de sa dimension romanesque, humoristique, il fournit de nombreuses indications sur les représentations du gendarme de la fin du XIXe siècle, personnage indissociable de l'espace rural, à la fois craint et familier, raillé et respecté.

Léon Bloy and the good gendarme, François Dieu

These paper aims at introducing a story by Léon Bloy about a retired gendarmewho decides to stop the Prussian army all by himself during the war in 1870. Beyond its fictional, humorous dimension, it is rich with information about the representations of the gendarmes at the end of the 19th century, a character inseparable from the countryside, both feared and familiar, laughed at and respected.