Sociétés & Représentations n° 15, résumés/abstracts
ENTRE LITTÉRATURE PROLÉTARIENNE ET RÉALISME SOCIALISTE : LE PARCOURS DE TRISTAN RÉMY, JEAN-CHARLES AMBROISE
Tristan Rémy est avec Henry Poulaille l’un des principaux animateurs du mouvement pour la littérature prolétarienne dans les années Trente. Moins directement impliqué dans la construction de la position prolétarienne, il conserve une distance critique à l’égard du mouvement, et une liberté d’évolution plus grande. Plus nettement influencé par le marxisme que d’autres auteurs du mouvement, il tente d’imposer une définition militante de la littérature prolétarienne et de structurer le groupe. Proche du PC et de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR) au milieu des années Trente, il évolue vers le réalisme socialiste et publie l’un des premiers romans consacrés au Front populaire en 1937 (La Grande lutte). Son écriture, initialement marquée par le réalisme poétique, apparaît comme atypique au sein du mouvement prolétarien : peu tenté par l’autobiographie, Rémy fait en revanche preuve d’un goût pour l’invention romanesque. Son évolution vers le réalisme socialiste, en partie tributaire de la place qu’il occupe dans le champ littéraire, traduit aussi une volonté d’élaborer une littérature populaire militante qui apparaît également dans certains de ses premiers romans.
Between proletarian and socialist realism: the course of Tristan Rémy, Jean-Charles Ambroise
Tristan Rémy is, along with Henry Poulaille, one of the prominent workers of the movement for proletarian literature in the thirties. He is not directly involved in the building of the proletarian position and keeps a critical distance towards the movement, as much as a greater freedom to evolve. More definitely influenced by Marxism than other authors of the movement, he tries to impose a militant definition of the proletarian literature and to structure the group. Close to the Communist Party and the Association of Revolutionary Writers and Artists (AEAR) in the mid-thirties, he evolves toward socialist realism and publishes one of the first novels about the Popular Front in 1937 (La Grande Lutte). His style, initially marked by poetic realism, is atypical in the proletarian movement: not much tempted by autobiography, Rémy shows however a liking for novelistic invention. His evolution toward socialist realism, partly dependent of his place in the literary field, reveals a wish to elaborate a popular and militant literature that is also to be found in his early novels.
ETRE OU NE PAS ÊTRE RÉALISTE SOCIALISTE : L’EXEMPLE D’ELSENEUR DE PIERRE COURTADE, PAUL ARON
Par la fidélité de son engagement communiste et par les thèmes de ses premiers écrits, Pierre Courtade (1915-1963) peut être considéré comme un écrivain réaliste socialiste. Il doit certainement à cette étiquette d’avoir presque complètement disparu de l’histoire littéraire française. Or une relecture attentive de ses textes, et en particulier de Elseneur (1949), montre à quel point le réalisme socialiste était, pour lui, vécu comme un problème vivant et non comme un dogme à respecter. Elseneur explore les marges et les limites du genre romanesque par un auteur qui hésite sur les formes qui rendront le mieux compte de son engagement authentique. Il tente de ménager les exigences du parti et sa sensibilité d’intellectuel angliciste. Entre réalisme et allégorie, loin du roman à thèse, des héros positifs et de l’ouvriérisme, la fiction suggère un “récit initiatique” de la “drôle de guerre” étrangement comparable au roman sur lequel Julien Gracq travaille au même moment : Le Rivage des Syrthes (1951). Que ce roman ait pu être écrit par un “intellectuel organique” du PCF dans l’immédiate après-guerre tend à montrer que la situation d’énonciation de l’auteur était moins figée qu’on veut bien le dire aujourd’hui.
To be or not to be a socialist realist: the example of Elseneur by Pierre Courtade, Paul Aron
With the loyalty to his communist commitment and the topics of his first publications, Pierre Courtade (1915-1963) can indeed be considered as a socialist realist writer. That is certainly why he has almost totally disappear from the history of French literature. But an attentive rereading of his texts, Elseneur (1949) in particular, shows how much socialist realism was, for him, seen as a living problem and not as a dogma to be observed. Elseneur explores the margins and the limits of the novelistic genre by an author who is unsure of which form would be best to express his genuine commitment. He tries to do right with the party's demands and with his sensitivity as an anglicist intellectual. Between realism and allegory, far from the novel of ideas, of positive heroes and worker control, fiction suggests an "initiatory story" of the "phoney war" strangely similar to the novel on which Julen Gracq is working at the same time: Le Rivage des Syrthes (1951). The fact that this novel could have been written by an "organic intellectual" of the French Communist Party just after the war shows that the author's situation of enunciation was not as stilted as we tend to think today.
LE RÉALISME SOCIALISTE FRANÇAIS DES ANNÉES TRENTE : UN FAUX DÉPART, PHILIPPE BAUDORRE
La notion de “réalisme socialiste” apparaît en France en décembre 1932 mais ne suscite une véritable production critique qu’après le Congrès des écrivains soviétiques, entre 1934 et 1936. Pour comprendre ce qu’elle recouvre alors, il faut analyser le sens que lui donnent les rares écrivains et journalistes qui y renvoient (essentiellement des communistes, Aragon, Nizan, Fréville, Sadoul). Il faut aussi la replacer dans une histoire plus large, celle de la réflexion sur les conditions de développement d’une littérature révolutionnaire en France. On constate que ce débat, riche et productif à la fin des années Vingt et au début des années Trente, ne trouve pas dans le réalisme socialiste un véritable prolongement ; c’est au contraire contre la littérature prolétarienne qu’une conception très militante se met en place. Alors que l’engagement des années 1934-1937 ne se fait plus autour des débats littéraires, c’est l’initiative d’Aragon et les articles qu’il écrit alors, qui assurent seuls au réalisme socialiste une présence trompeuse dans le paysage littéraire français de la fin des années Trente.
The French socialist realism of the nineteen thirties: a false start, Philippe Baudorre
The notion of "socialist realism" appears in France in December 1932 but only causes an actual critical production after the Convention of soviet writers, between 1934 and 1936. In order to understand what it meant then, one must analyse the meaning that the few writers and journalists (mostly communists, Aragon, Nizan, Fréville, Sadoul) gave it. One must also put it back in a larger history, the reflection on the conditions of the development of a revolutionary literature in France. It is observed that this debate, rich and productive during the late twenties, doesn't find any real prolongation in socialist realism: on the contrary, a very militant conception against proletarian literature takes place. When the commitment of the years 1934-1937 isn't made around literary debates any longer, only Aragon's initiative and the articles he writes then, provide socialist realism with a deceptive presence in the late thirties' French literary field.
LES ÉCRIVAINS ENGAGÉS ET LE RÉALISME SOCIALISTE (1944-1953), BENOÎT DENIS
Le champ littéraire de l'immédiat après-guerre est dominé par la confrontation entre deux groupes intéressés à imposer leur vision des rapports entre littérature et politique : d'un côté, les écrivains du Parti communiste, rangés sous la bannière du réalisme socialiste ; de l'autre, les tenants de la "littérature engagée", représentés ici par Jean-Paul Sartre, Albert Camus et Roland Barthes. Cette contribution vise à montrer comment ces auteurs ont pu se servir du réalisme socialiste comme d'un repoussoir, aux fins de faire accepter l'engagement comme une conception de la littérature à mi-chemin d'un purisme esthétique stérile et d'une écriture de propagande. Entre 1944 et 1953, on assiste ainsi à la mise en place de stratégies discursives et rhétoriques visant à déclasser le réalisme socialiste, stratégies qui ont largement contribué à en forger la représentation traditionnellement admise : dénonciation de son aporie esthétique et, simultanément, assimilation du réalisme socialiste à un formalisme ; mise en évidence d'un conformisme esthétique qui trahirait la caractère conservateur du communisme stalinien.
Committed writers and socialist realism (1944-1953), Benoît Denis
Immediately after World War II, the literary field is dominated by the conflict between two groups both interested in imposing their vision of the relations between literature and politics: on one side, the Communist Party's writers, who had joined the ranks of socialist realism; on the other side, the believers in "committed literature", such as Jean-Paul Sartre, Albert Camus and Roland Barthes. This article aims at showing how these authors used socialist realism as a foil, in order to make commitment accepted as a conception of literature half way between a sterile esthetical purism and propaganda writing. Between 1944 and 1953, discursive and rhetorical strategies aiming at downgrading socialist realism thus take place; these strategies have largely contributed to forge the traditionally accepted representation of socialist realism: denunciation of its aesthetic paradox and, at the same time, assimilation of formalism; underlining an aesthetic conformism supposedly betraying the conservative aspect of stalinist communism.
LES RÉCITS D’URSS DE PAUL NIZAN : À LA RECHERCHE D’UN RÉALISME SOCIALISTE DE TÉMOIGNAGE. SUIVI D’EXTRAITS INÉDITS DE PAUL NIZAN, “SOUVENIR DE BAKOU”, SOPHIE CŒURÉ
Cet article propose une étude des écrits de Paul Nizan sur son séjour en Union soviétique en 1934 et de leurs versions préparatoires, du contexte précis de leur rédaction dans le cadre général du “retour d’URSS ” avec l’impératif de témoignage militant qui lui est lié, et des thématiques abordées pour décrire ou évoquer l’Union soviétique, et particulièrement l’Asie centrale et le Caucase. Ceci permet de saisir un moment important de l’itinéraire de l’écrivain communiste. On approche, avec cette recherche d’une écriture engagée du réel, la mécanique complexe qui lie obéissance politique et liberté d’écriture, et permet à Nizan d’ébaucher ce qu’on peut définir comme un “réalisme socialiste de témoignage”.
Paul Nizan's writings from the USSR: looking for a testimonial socialist realism. Followed by unpublished excerpts of Paul Nizan's "Souvenir from Bakou", Sophie Cœuré
This article proposes a study of Paul Nizan's texts about his trip to the USSR in 1934 and of their preliminary versions, of the precise context of their composition inside the general bounds of the "back from USSR" with the imperatively militant testimony that is linked to it, and of the themes chosen to describe or evoke the Soviet Union, particularly Central Asia and Caucasus. This allows to seize an important moment in the Communist writer's itinerary. We approach, with this research for a committed writing of reality, the complex mechanic that links political obedience and freedom of writing, and allows Nizan to draft what can be defined as a "socialist realism of testimony".
LA FAUCILLE OU LE PINCEAU ? LES ARTISTES BELGES FACE AU RÉALISME SOCIALISTE, VIRGINIE DEVILLEZ
Au lendemain de la Libération, le Parti communiste de Belgique jouit d’une aura particulière auprès des artistes et intellectuels. Les surréalistes révolutionnaires, qui deviendront les fondateurs du mouvement Cobra, mettent leur art au service du Parti même si celui-ci les tolère sans vraiment les soutenir. Mais, comme la popularité du Parti s’est très vite effritée en Belgique, il a été contraint de s’accommoder de ces artistes. Pourtant, malgré une assise de plus en plus faible au sein de la population et des créateurs, le Parti belge va devoir se mettre au diapason de son équivalent français : en 1949, Claude Morgan demande au comité de rédaction de l’édition belge des Lettres françaises de se rallier à la cause du Réalisme Socialiste. C’est la rupture avec Cobra et le début de l’union avec le groupe Forces Murales qui, au sein du Parti belge, va revêtir un rôle équivalent à celui d’Aragon en France. Cependant, à y regarder de plus près, l’art de Forces Murales est plus proche d’Édouard Pignon que d’André Fougeron. Y a-t-il dès lors vraiment un art Réaliste Socialiste en Belgique ? Et dans l’affirmative, comment réagira Forces Murales face à un style opposé au sien ? L’implantation du Réalisme Socialiste en Belgique montre à quel point le Parti communiste de Belgique a dû imposer des injonctions extérieures (venant de Paris et non de Moscou), au risque de promouvoir un art non conforme aux dictats soviétiques puisqu’aucun artiste belge ne répondait totalement à ces poncifs.
The sickle or the paintbrush? Belgian artists and Socialist Realism, Virginie Devillez
Right after the war, the Belgian Communist Party enjoyed a particular popularity among artists and intellectuals. The revolutionary surrealists, who were to become the founders of the Cobra movement, put their art at the service of the Party, even though the latter tolerated them without really supporting them. But, as the Party's popularity quickly decreased in Belgium, it had to put up with these artists. However, in spite of an increasingly weak position among the population, the Belgian Party was going to have to adapt to its French equivalent: in 1949, Claude Morgan asked the editorial committee of the Belgian edition of Les Lettres françaises to join the ranks of Socialist realism. This marks the break-up with Cobra and the beginning of the union with the group Forces Murales which, within the Belgian Party, will play an equivalent role as Aragon in France. But, when one takes a good look at it, the art of Forces Murales is closer to Édouard Pignon's than to André Fougeron's. Is there really then such a thing as Socialist Realism in Belgium? And if there is, how will Forces Murales react to a style opposite to theirs? The establishment of Socialist Realism in Belgium shows to what extend the Belgian Communist Party had to impose outside orders (coming from Paris, not from Moscow), with the risk of promoting an art not in accordance with the Soviet standards since no Belgian artist was totally in line with these patterns.
L’IMPLANTATION DU RÉALISME SOCIALISTE EN ROUMANIE, LUCIA DRAGOMIR
L’assassin Pierre-François Lacenaire (1803-1836) écrit ses Mémoires autobiographiques, à la prison de la Conciergerie, quelques semaines avant sa mort sur l’échafaud, le 9 janvier 1836. L’identité de son auteur, les conditions dramatiques de la mise en œuvre ainsi que son retentissement auprès d’un public fasciné et choqué par ce testament homicide, confèrent à cette entreprise un caractère exceptionnel. Aussi ce texte intéresse-t-il l’historien moins comme un document sur la vie de Lacenaire ou sur la société des trente premières années du XIXe siècle que comme un événement à part entière, marquant l’apparition d’une figure neuve d’infamie. Les Mémoires couronnent le travail de mise en scène de soi, par lequel Lacenaire s’institue sujet de ses crimes, et les projettent dans la postérité. Dans la parole autobiographique, affranchie du présent, tenue pour être entendue par-delà la mort, émerge la figure troublante de l’infamie comme œuvre.
The establishment of socialist realism in Romania, Lucia Dragomir
The establishment of socialist realism in Romania after World War II has led not only to the restructuring of the Romanian literary space, but also to the relative loss of its autonomy, because of its subordination to political guidelines. The promotion, assimilation and functioning of socialist realism were asserted during about twenty years, thanks to the creation of new literary institutions, subordinated to the Communist party. To recount the establishment of socialist realism in Romania is of course to study the cultural and political transformations which allowed the setting of the imported model, to observe the institutional paths of its spreading and its achievements in the Romanian context.
UN EXEMPLE DE MISE EN IMAGES : LE “RÉALISME SOCIALISTE” DANS LES ARTS PLASTIQUES EN FRANCE (1947-1954), LUCIE FOUGERON
Le développement du réalisme socialiste dans les arts plastiques en France, sous l’impulsion du Parti communiste français, dans le contexte des débuts de la guerre froide, a été bref tout autant qu’intense. Il met en lumière les tensions et des contradictions du projet d’un art d’inspiration politique, intimement lié aux objectifs et au rythme que ce parti lui a imprimés, fort, notamment, de sa capacité d’attraction auprès d’un grand nombre d’intellectuels et d’artistes. Les circonstances politiques, l’évolution des orientations du mouvement communiste national et international, et plus prosaïquement les luttes internes pour le pouvoir déterminent, in fine, les différentes étapes de ce “réalisme socialiste français”. Il illustre en outre l’une des singularités du PCF sur la scène politique nationale, en tant que promoteur d’une politique culturelle spécifique intégrée aux nécessités de la lutte idéologique de guerre froide. Ce phénomène esthétique et politique éclaire aussi les formes singulières de l’engagement de ces “artistes-de-parti” qui conçoivent alors leur activité créatrice comme inséparable de l’action politique.
An example of imaging: the "socialist realism" in plastic arts in France (1947-1954), Lucie Fougeron
The development of socialist realism in plastic arts in France, under the influence of the French Communist Party, in the context of the beginning of the Cold War, has been as brief as intense. It reveals the tensions and the contradictions of a project of a politically-inspired art, closely linked to the goals and rhythm imparted by the Party, strong with its ability of attracting numerous intellectuals and artists. The political circumstances, the evolution in the orientations of the national and international communist movement, and more prosaically the internal struggles for power, determine, in fine, the various steps of this "French socialist realism". Moreover, it illustrates one of the singularities of the PCF on the national political scene, as a promoter of a specific cultural policy embedded in the necessities of the ideological struggle of cold war. This esthetical and political phenomenon also sheds light on the particular forms of the commitment of these "the-Party-artists" who conceive their creative activity as inseparable from political action.
LES ROMANS DU RÉALISME SOCIALISTE FRANÇAIS, REYNALD LAHANQUE
Le corpus des œuvres étudiées est défini comme celui des romans écrits par des écrivains communistes, dans les premières années de la guerre froide (1948-1954), publiés par des maisons d'édition du PCF, et considérés par la critique communiste comme représentatifs du réalisme socialiste. Ce sont donc des romans à thèse, de nature politique, indissociables de la vision du monde communiste, et plus particulièrement de sa variante stalinienne. Un double critère de différenciation, thématique et structurel, permet de les classer en quatre catégories, d’une part, selon qu'ils traitent de l'actualité immédiate ou du passé récent, et d’autre part, selon qu’ils rapportent la lutte de héros déjà en possession des bonnes valeurs et de la vérité (les militants) ou l'apprentissage exemplaire de personnages au départ éloignés du Bien et du Vrai. Sont ainsi parcourus tour à tour, de façon synthétique, les “romans de la guerre froide” et les “romans de la Résistance”, puis les “romans du combat” et les “romans du cheminement”.
The novels of the French socialist realism, Reynald Lahanque
The corpus of the studied works is the novels written by communist writers, during the early years of the Cold War (1948-1954), published by the Party's editions, and considered by communist critics as representative of socialist realism. They are therefore novels of ideas, of a political nature, indissociable from the communist vision of the world, and, notably of its stalinist variant. A double criteria of differenciation, both thematic and cultural, leads to classify them in four categories, depending on, first, wether they deal with immediate and recent history, or on the other end, wether they tell a story about the struggle of a heroe already blessed with the right values and the truth (the militants), or the initiatory path of characters who are, at the beginning far from the Good and the True. The novels are studied, one by one, in a synthetic way, the "Cold War novels", and the "Resistance novels, then the "struggle novels" and the "progress novels".
L’UNION DES ÉCRIVAINS MOLDAVES À L’ÉPOQUE JDANOVIENNE : DE LA RÉPRESSION À LA VIOLENCE SYMBOLIQUE, PETRU NEGURA
La politique soviétique culturelle dite “jdanovienne” s’inscrit dans le contexte autoritaire de l’après-guerre et vise deux objectifs : d’une part, la consolidation et la centralisation du champ culturel soviétique sous l’autorité symbolique du réalisme socialiste, d’autre part, l’intégration culturelle et idéologique des nationalités à la suite de la réorganisation territoriale de 1940. Cet article propose une analyse socio-historique de l’institution littéraire en Moldavie soviétique sous le jdanovisme. Ce cas permet de prendre en compte les deux aspects de la campagne jdanovienne mentionnés ci-dessus. Le modèle littéraire unique que cette institution promeut à l’époque - le réalisme socialiste - est conçu comme un modèle de pensée et de comportement, voire d’identité. Les tensions qui s’exercent à l’époque jdanovienne entre le pouvoir politique et les écrivains et, à un autre niveau, entre les écrivains eux-mêmes, ont comme enjeu principal le monopole de la violence symbolique légitime qui suppose, précisément dans le contexte de la Moldavie soviétique, la définition des contenus de l’identité moldave, à travers la normalisation formelle et idéologique du réalisme socialiste.
The Union of Moldavian Writers during the jdanovian period: from repression to symbolic violence, Petru Negura
The Soviet cultural policy, known as "jdanovian", takes place in the authoritarian post-war context and aims at two objectives: first, the strengthening and the centralisation of the Soviet cultural field under the symbolic authority of socialist realism, secondly, the cultural and ideological integration of nationalities following the territorial reorganisation in 1940. This article proposes a socio-historical analysis of the literary institution in Soviet Moldavia under jdanovism. This case-story allows to account for the two aspects of the jdanovian campaign mentioned above. The single literary model promoted by this institution at the time, —socialist realism— is conceived as a model of thinking and behaving, even of identity. The tensions between the political power and the writers during the jdanovian period, and, at another level, among the writers themselves, have as main stake the monopoly of legitimate symbolic violence which supposes —precisely within the context of Soviet Moldavia— the definition of the Moldavian identity, through the formal and ideological normalisation of socialist realism.
LE RÉALISME SOCIALISTE, UN PRODUIT D'EXPORTATION POLITICO-LITTÉRAIRE, IOANA POPA
Malgré la "standardisation" littéraire et politique relativement exceptionnelle des œuvres réalistes socialistes, leur circulation internationale se fait d'une manière quantitativement et qualitativement contrastée. L'intensité des flux de traduction de ces oeuvres dépend ainsi de la position qu'occupent les littératures et les pays "source" et "cible", à la fois dans l'espace littéraire international et dans le système des relations politiques internationales. Alors que l'importation du canon réaliste socialiste se fait depuis l'Union Soviétique, les pays du bloc de l'Est, satellisés à la fois d'un point de vue littéraire et politique, occupent une position dominée indépendamment de l'échelle de circulation de leurs oeuvres réalistes socialistes. Si le XXe Congrès du PCUS de 1956 ne modifie pas cette hiérarchie, il bouleverse cependant les conditions politiques de production, diffusion et réception du réalisme socialiste.
Socialist realism, a politico-literary export product, Ioana Popa
In spite of the rather exceptional literary and political "standardisation" of the socialist-realistic works, their international circulation operated, in a both quantitative and qualitative contrasted way. The intensity of the flows of translation of these works thus depended on the position occupied by the literature and the "source" and "target" countries, both within the international literary space and within the system of international political relations. When the importation of the socialist-realistic canon was carried out from the Soviet Union, East-European countries -satellized in a literary as well as a political point of view- held a position dominated independently from the scale of circulation of their socialist-realistic works. If the twentieth Convention of the PCUS in 1956 didn't modify this hierarchy, it disrupted however the political conditions of production, distribution and reception of socialist realism.
ARAGON, “RÉALISTE SOCIALIST”. LES USAGES D’UNE ÉTIQUETTE LITTÉRAIRE DES ANNÉES TRENTE AUX ANNÉES SOIXANTE, PHILIPPE OLIVERA
Comment expliquer que Louis Aragon, le principal introducteur de la notion de réalisme-socialiste en France et le principal écrivain à se réclamer de cette étiquette sur la scène littéraire pendant plus de trente ans, soit rarement classé comme “réaliste-socialiste” ? L’article cherche à répondre à cette question en revenant sur les usages à la fois volontaires et contraints qu’Aragon fait de cette étiquette des années 1930 aux années 1960. Il commence par montrer les impasses et les contradictions d’une question le plus souvent mal posée ou évacuée. Abordant ensuite le problème en termes de crédibilité d’une entreprise visant à décréter le sens du “mouvement littéraire”, il revient ensuite sur le moment d’origine des années trente où toutes les conditions semblent réunies pour assurer le succès d’une étiquette littéraire nouvelle : contexte favorable, capacité à mobiliser les écrivains, atouts et compétences pour entreprendre de réécrire l’histoire de la modernité littéraire. En revanche, trente ans plus tard, la situation est toute différente et c’est sur une position désormais défensive qu’Aragon revendique le réalisme-socialiste. Pour comprendre cette constance, il faut notamment mesurer le rôle des étiquettes littéraires dans la manière qu’a l’écrivain de construire la cohérence de son parcours et son mode d’inscription dans l’histoire littéraire.
Aragon, a "socialist-realist". Practice of a literary label from the nineteen thirties to the nineteen sixties, Philippe Olivera
How can it be explained that Louis Aragon, the major introducer of the notion of socialist-realism in France and the major author to proclaim this label on the literary scene during thirty years or more, is so rarely put in the category of "socialist-realist"? The article tries to answer this question by studying how —both in a voluntary and constrained manner— Aragon uses that label from the Thirties to the Sixties. He starts by showing the deadlocks and the contradictions in a question usually badly termed or evacuated. He then approaches the problem in terms of credibility of a venture aiming at vowing the meaning of the "literary movement", and after having done so, comes back on the moment of origin of the Thirties when every condition seems to be met to achieve the success of a new literary label: favourable context, ability to mobilise writers, assets and competencies to initiate a rewriting of the history of literary modernity. On the other end, thirty years later, the situation is quite different and Aragon then stands in a defensive position to claim socialist realism. In order to understand this persistence, it is notably necessary to measure the role of literary labels in the way the author builds the coherence of his development and his place in literary history.
RÉCITS ÉDIFIANTS DU MYTHE PROLÉTARIEN ET RÉALISME SOCIALISTE EN FRANCE (1934-1937), BERNARD PUDAL
Plus évidemment que toute autre, l'étude de la littérature communiste implique qu'on associe étroitement analyse interne et analyse externe dans la mesure où chaque œuvre est la résultante d'une double stratégie d'auteur qui tient compte à la fois des logiques et des rapports de force du champ littéraire mais aussi du système de positions propre au PCF. En comparant cinq récits édifiants au moment où la revendication du réalisme socialiste devient un enjeu pour les écrivains communistes (1934-1937), en particulier sous l'angle de leurs rapports au mythe prolétarien qui structure symboliquement le monde communiste comme biocratie, on se propose d'objectiver ces stratégies doubles ainsi que ces hiérarchies qui ordonnent les écrivains communistes.
Edifying stories of the proletarian myth and socialist realism in France (1934-1937), Bernard Pudal
The study of communist literature, more obviously than any other, implies a close association of internal and external analysis insofar as each work is the result of a double strategy by the author which takes into account not only the logic and the battles of wills of the literary field but also the system of positions characteristic to the PCF. By comparing five edifying stories at a moment when the claims of socialist realism become an issue for communist writers (1934-1937), in particular with regards to their relation with the proletarian myth that symbolically structures the communist world as a biocracy, this article proposes to objectivize these double strategies and these hierarchies which organize communist writers.
LA QUERELLE DU RÉALISME (1935-1936), NICOLE RACINE
La Querelle du réalisme, ouvrage publié par les soins de Louis Aragon, à la suite de débats sur la peinture organisés en mai 1936, manifeste l'écho que rencontra le thème du réalisme dans le milieu artistique français au cours des années Trente. Dans la conjoncture du Front populaire, ce thème fut décliné de façon multiforme par les artistes plasticiens qui mirent l'accent, plus que sur le contenu précis de la notion, sur la nécessité de ne pas être absents des combats du présent, de contribuer à une politique de diffusion et d'éducation populaire. La conjoncture de 1936 a permis un rassemblement de peintres et d'écrivains, à l'initiative du Parti communiste. Cependant celui-ci échoue dans la tentative d'acclimater en France les principes d'une esthétique communiste, en dépit du talent de propagandiste d'Aragon et de l'interprétation qu'il donne d'un "réalisme français". La plupart des artistes récusent toute théorie unifiée de la création, toute tentative de mettre l'art au service d'une conception politique, à l'instar de Fernand Léger, défenseur d'un "nouveau réalisme", réconciliant le peuple et l'art moderne.
The dispute about realism (1935-1936), Nicole Racine
La Querelle du réalisme, published at Louis Aragon's initiative, following the debates on painting organised in may 1936, expresses the echo met by the theme of realism on the French artistic scene during the Thirties. In the context of the Front Populaire, that theme was exploited in many different ways by plastic artists who emphasised, more than the precise content of the notion, the necessity of not being absent from the struggles of the present, of contributing to a policy of spreading and educating the People. The circumstances of 1936 gave way to a gathering of painters and writers, at the initiative of the Communist Party. The Party fails however in its attempt at adapting the principles of a communist aesthetic in France, in spite of Aragon's talent for propaganda and of the interpretation he gives of a "French realism". Most artists reject any united theory of creation, any attempt at subordinating art to a political conception, following the example of Fernand Léger, advocate of a "new realism", reconciling the people with modern art.
FORMES ET STRUCTURES DE L’ENGAGEMENT DES ÉCRIVAINS COMMUNISTES EN FRANCE DE LA “DRÔLE DE GUERRE” À LA GUERRE FROIDE, GISÈLE SAPIRO
L’article analyse l’évolution des conceptions de la littérature et de l’organisation des écrivains - et des intellectuels - dans le Parti communiste français de la Deuxième Guerre mondiale à la Guerre froide. L’expérience de l’occupation allemande entraîne un changement dans la conception du rôle des intellectuels au sein du PCF. Avant la guerre, le modèle de l’engagement dreyfusard prévalait : la mobilisation des intellectuels consistait principalement dans la caution charismatique qu’ils apportaient à la cause défendue. Dans le cadre de l’opposition à l’occupant et au régime de Vichy, il est demandé aux intellectuels de mettre leur art ou leur pratique au service de la cause à défendre. Avec la poésie de “contrebande”, Aragon développe un modèle formel qui connaît une grande vogue. Parallèlement, à l’initiative du PCF, se met en place une Résistance intellectuelle organisée par catégorie professionnelle (écrivains, artistes, musiciens, médecins, etc.). Maintenues à la Libération, les associations professionnelles nées de la clandestinité sont fédérées en 1945 dans l’Union nationale des intellectuels (UNI). L’héritage de la guerre conditionne ainsi l’adaptation du réalisme socialiste en France à partir de 1947. Il permet notamment aux intellectuels du Parti de défendre, au nom de leur spécialité, leur relative autonomie quant au jugement de leur pratique contre la tendance ouvriériste qui entend soumettre l’art à l’appréciation du prolétariat et de ses représentants.
Forms and structures of the French communist writers'commitment in France from " the Phoney War" to the Cold War, Gisèle Sapiro
The article analyses the evolution of the concepts of literature and the organisation of writers —and intellectuals— in the French Communist Party from the second World War to the Cold War. The experience of German occupation leads to a change in the conception of the role of intellectuals within the PCF. Before the war, the prevailing model of commitment was the Dreyfus case: the mobilisation of the intellectuals mainly consisted in the charismatic support they were bringing to the defended cause. In the context of opposition to the occupying forces and to the Vichy regime, it was required of intellectuals that they put their art or their practice at the service of the cause to be defended. With the "smuggled" poetry, Aragon develops a formal model that becomes quite popular. At the same time, on the French Communist Party's initiative, an intellectual Resistance takes place, organised by professional category (writers, artists, musicians, doctors, etc.). Kept after the Liberation, these professional associations born underground were federated in 1945 into the National Union of the Intellectuals (UNI). The war heritage thus governs the adaptation of socialist realism in France from 1947 onwards. It notably allows the Party's intellectuals to defend, in the name of their speciality, their relative autonomy regarding the judgement of their practice against the tendency of worker control that intends to subordinate art to the approval of the workers and their representatives.
JEAN-RICHARD BLOCH ET LA DÉFENSE DE LA CULTURE, MICHEL TRÉBITSCH
Pour Jean-Richard Bloch, l'un des principaux intellectuels du Front populaire et l'un des compagnons de route du Parti communiste, le réalisme socialiste n'apparaît nullement nécessaire à la politique de “défense de la culture ” qu'il prône dans cette période d'union, au nom d'un humanisme révolutionnaire, notamment dans deux productions de 1936, son essai Naissance d'une culture et sa tentative de “spectacle total”, Naissance d'une cité, l'une des oeuvres emblématiques du Front populaire avec La Marseillaise de Renoir. Au contraire, peut-on dire, chez un écrivain qui s'est opposé clairement, dès le congrès de Moscou de 1934, au “monologisme” du réalisme socialiste, l'expérimentation esquissée en 1936 représente la recherche la plus accomplie d'un rapprochement entre l'art et le peuple qui ne cède rien ni sur la modernité esthétique ni sur la dimension révolutionnaire du mouvement social.
Jean-Richard Bloch and the defense of culture, Michel Trébitsch
To Jean-Richard Bloch, one of the prominent intellectuals of the Front Populaire and fellow traveller of the communist party, socialist realism is not at all necessary to the policy of "defence of culture" which he advocates in that time of union, in the name of a revolutionary humanism, notably in two contributions in 1936, his essay Naissance d'une culture and his attempt at "total show", Naissance d'une cité, one of the emblematic works of the Front Populaire along with La Marseillaise by Renoir. On the contrary, one may say, for a writer who clearly opposed, as soon as the Moscow Convention in 1934, the "monologism" of socialist realism, the experiment carried out in 1936 represents the most achieved research in the reconciliation between art and the People which doesn't yield anything on esthetical modernity or on the revolutionary dimension of the social movement.
LA “DIRECTION DES INTELLECTUELS COMMUNISTES” DANS LA RÉSISTANCE FRANÇAISE. MISSIONS - ORGANISATION - PRATIQUES, DANIEL VIRIEUX
Dans le court terme des années de Résistance, le PCF confie la réorganisation en profondeur de ses pratiques dans les milieux intellectuels à une ‘direction’ spécifique inexistante avant la guerre. Celle-ci est rapidement confrontée à une alternative. D’un côté les choix dont Georges Politzer investit L’Université Libre à l’automne 1940 : l’organisation catégorielle des intellectuels au service d’une Résistance dont le PCF préconise l’union autour de la classe ouvrière - un “Front national (mai 1941). De l’autre, le projet formulé à l’été 1941 par Aragon : un “mouvement des intellectuels” ne se référant qu’à la Nation en résistance et dont le leadership reviendrait aux écrivains - d’où Les Lettres Françaises. Au printemps 1943, le panachage de ces possibles donne lieu à la mise en chantier d’une “Union française des intellectuels” au statut fluctuant. Au printemps 1944 s’affirme la préférence ‘nordiste’ pour l’autonomie au sein d’un mouvement de résistance particulier, le “FN”. La Libération venue, la “direction des intellectuels communistes” s’accorde pourtant sur l’option aragonienne de l’émancipation d’une “Union nationale des intellectuels” affiliée au seul Conseil national de la Résistance.
The "management of communist intellectuals" in the French Résistance. Missions - organisation - practices, Daniel Virieux
During the short term of the years of the Résistance, the PCF (French Communist Party) entrusted the complete reorganisation of its practices to a specific ‘management’ which didn't exist before the war. It is soon faced with an alternative. On one hand, Georges Politzer's choices for L'Université Libre during the fall of 1940: the organisation into categories of intellectual serving a Résistance that the PCF wants united around the working class — a "Front national" (may 1941). On the other hand, the project proposed by Aragon during the summer of 1941: a "mouvement des intellectuels" concerning only the Nation's Résistance and the leadership of which would belong to the writers — ergo "Les Lettres Françaises". In the spring of 1943, the mixing of these possibilities leads to the founding of a "Union française des intellectuels" with a fluctuating status. In the spring of 1944 the ‘northern’ preference prevails favouring the autonomy within a particular movement of the Résistance, the "FN". However, after the Liberation, the "Direction des intellectuels communistes" agrees with Aragon's option on the emancipation of a "Union nationale des intellectuels" subordinated solely to the national council of the Résistance.
LA “PEUR DU GENDARME”. NOTES SUR LA POLITIQUE SÉCURITAIRE D’UNE VILLE ORDINAIRE, FRANCK POUPEAU
Si un des mécanismes essentiels du maintien de l’ordre social réside, comme le suggère Cicourel, dans la mémoire collective qui sous-tend les représentations individuelles, il est possible de supposer que les préoccupations sécuritaires en France ne sont pas aussi récentes que ne l’affirment les discours politiques actuels. Elles s’appuient en réalité sur la réactivation de schèmes sociaux dont une expression comme “la peur du gendarme”, cette figure incontestée de l’autorité dans la France des XIXe et XXe siècles, constitue une illustration. Ce rappel du passé, qui va de pair avec la valorisation du retour aux origines "villageoises" des communes de "banlieue", montre que les angoisses sociales viennent autant d’un sentiment de dégradation que d’une appréhension biaisée des problèmes présents, comme le révèle l’ethnographie de G., une ville ordinaire de l’Est parisien.
The fear of the gendarme. Franck Poupeau
If, as Cicourel suggests, one of the major mechanisms of the maintenance of social order dwells in the collective memory underlying individual representations, it is then possible to suppose that the security concern in France is not as recent as political speeches declare today. They are actually based on the reactivation of social schemas in which an expression like "the fear of the gendarme" —this uncontested figure of authority in the 19th and 20th centuries— is a good example. This remembrance of the past, which goes along with the growth of return to the "countrye" origins of suburban cities, shows that social anxieties come as much from a feeling of degradation as from a biased apprehension of present problems, as the ethnography of G., an ordinary city of eastern suburbs, reveals.
“IL FAUT OBSERVER LA RÈGLE DU JE”. RÉALISME SOCIALISTE ET CONTREBANDE LITTÉRAIRE : LA PLACE ROUGE DE PIERRE COURTADE, FRÉDÉRIQUE MATONTI
Le roman de Pierre Courtade, La Place Rouge, publié en 1961, soit au moment où le réalisme socialiste cesse d’être une obligation pour les producteurs artistiques communistes sans que pour autant s’impose une esthétique alternative permet tout d’abord d’observer une tentative individuelle de sortie du réalisme socialiste. Mais ce roman, sa réception, la position particulière de son auteur au sein du PCF —critique à l’intérieur du Parti, fidèle à l’extérieur— permettent également de comprendre comment tant les schèmes des producteurs que ceux des récepteurs, travaillés par l’épisode réaliste socialiste interdisent à ce roman et à son auteur de faire l’objet d’une reconnaissance strictement littéraire. Ces contraintes se matérialisent notamment par le recours à la “contrebande” littéraire, indéchiffrable pour quiconque ne possède pas ses règles de cryptage et de décryptage.
"One must play by the rules". Socialist realism and literary smuggling: La Place rouge by Pierre Courtade, Frédérique Matonti
Pierre Courtade's novel La Place rouge (The Red Place), published in 1961, at a time when socialist realism has ceased to be an obligation for communist art producers but without providing an aesthetic alternative, is, first of all, an individual attempt to get out of socialist realism. But that novel, its reception, the particular position of its author within the French Communist Party —critical when inside the Party, loyal when outside— also allow to understand how the producers 'schemas as well as the recipients', shaped by the socialist realist episode, prevented that novel and its author to have a strictly literary recognition. These constraints materialize notably through literary "smuggling", indecipherable for anyone ignorant of the rules of coding and decoding.