Sociétés & Représentations n° 13, résumés/abstracts

VIVRE, ÉCRIRE, ARCHIVER, DANIEL FABRE

Partant du constat de l’extraordinaire diversité avec laquelle se sont constitués les fonds d’archives autobiographiques en Europe, l’auteur montre comment cette diversité met en relief les propriétés mêmes de la matière autobiographique. L’étude des trois notions de vies, de sujet et d’écrit met au jour une série de variations, tensions, inflexions, qui définissent le style propre des archives autobiographiques. 

To live, write, file, Daniel Fabre

Recording the extreme diversity of the autobiographical archives history, the author shows how this diversity puts stress on the own characteristics of personnel materials. His analysis of three concepts of Life, subject and writing brings out a serial of variations, tensions and inflictions, which define the own style of the autobiographical archives.


LES CORRESPONDANCES COMME OBJET HISTORIQUE : UN TRAVAIL SUR LES LIMITES, CÉCILE DAUPHIN

Pour traiter de la résistance des correspondances comme objet d’histoire, l’auteur se propose de travailler sur les limites. Cette posture préconisée naguère par Michel de Certeau consiste à s’interroger sur le processus de hiérarchisation des sources, sur les conditions de transmission et de conservation qui exilent des pratiques de leur temporalité propre et l’investissent de significations nouvelles. En quête d’informations sur des événements et sur des personnes, l’historien est confronté à l’écran de l’énonciation épistolaire qui peut faire illusion sur la réalité des choses vues, ressenties et mises en récit. Dans un jeu subtil de dévoilement et de connivence, les correspondances laissent l’historien au seuil de l’intime, catégorie qu’il s’agit alors de penser en termes d’usage sociaux.

Correspondence as a historical object : a work about limits, Cécile Dauphin

To analyze resistance of letters as historical object, the author works on the limits of those sources. With Michel de Certeau, she examines successively the hierachisation process of historical sources, the conditions of transmission and preservation, which exile these practices from their own temporality and produce new meanings. The author shows how, in this revelations game, letters put historians on the threshold of intimacy, and bind them to think it like social uses.


QUI POUR TOI SE SOUVIENT ? LES HISTOIRES DE FAMILLE AU XIXE SIÈCLE, UNE MÉMOIRE REVISITÉE, DANIÈLE POUBLAN

La cote Lm3 de la Bibliothèque nationale rassemble les  histoires de familles . Dans cet ensemble déjà constitué, nous avons retenu les textes publiés au xixe siècle, récits d’une époque plus ou moins reculée. Les bibliothécaires ont rassemblé des textes disparates, en référence à des genres anciens qui ont quelque chose à voir avec la biographie ou l’autobiographie: les généalogies aristocratiques et les livres de raison. L’attention nouvelle portée à la bourgeoisie et à l’individu dans ce qu’il a d’unique incite nombre d’hommes de la classe cultivée à écrire l’histoire de leur famille. Ils concilient la dimension socio-historique et l’approche personnelle, dans la continuité des pratiques plus anciennes. Les auteurs sont souvent des proches ou des héritiers, nourris de souvenirs et de la mémoire écrite de la famille (en particulier les correspondances). Quelle est la place donnée aux lettres dans ces récits ? Comment les héritages sont-ils mis en œuvre pour restituer des faits, des sentiments, des personnes ? C’est tout le processus d’écriture qui est à prendre en compte.

Who for you remembers? Family stories in the 19th century, a revisited memory, Danièle Poublan

The Lm3 class mark of the Bibliothèque nationale (Paris) gathers the "family histories". From this pre-established set, we have selected the texts published in the 19th century, stories from a more or less distant period. The librarians have gathered disparate texts, in reference to old classes which have something to do with biography or autobiography: aristocratic genealogies and livres de raison. The new focus on middle classes and on the individual in his uniqueness encourages a number of men from the cultured classes to write the history of their families. They combine the sociohistorical dimension with the personal approach, perpetuating older practices. The authors are often close relatives or heirs, familiar with recollections of the family and its written memory (particularly correspondences). Which place is given to letters in these stories? How are the legacies used to reconstruct facts, feelings and people? The whole process of writing has to be taken into account.


ARCHIVES ORALES ET RECHERCHES CONTEMPORAINES : UNE HISTOIRE EN COURS, VINCENT DUCLERT

La mémoire des personnes, saisie dans le temps de son oralité, constitue-t-elle, pour les historiens, des archives comme les autres ? Fonde-t-elle, à travers le processus de recueil du témoignage, des pratiques nouvelles dans la conception des sources et la définition de la recherche ? Représente-t-elle une nouvelle manière de faire de l’histoire ? Répondre à ces interrogations, c’est étudier l’origine anglo-saxonne de l’oral history, les expériences françaises entamées dans les années 1970 et la venue des bilans scientifiques dans le contexte émergeant de l’ère du témoin et des enjeux de mémoire.

Oral archives and contemporary research: an ongoing history, Vincent Duclert

Oral memory can be some classic historical archives? Through the process of accounts’ collection, can it be possible to change the practices of historical research? Answer to theses questions means to study the Anglo-Saxon origins of the oral history, the French experiences beginning during the seventies’ and the coming of scientific reports in the particular context of the new times of witness and memories’ tensions.


JE NE SUIS PAS UNE SOURCE. ENTRETIEN AVEC PHILIPPE LEJEUNE

Dans cet entretien Philippe Lejeune revient sur l’ensemble de ses travaux sur le genre autobiographique sous l’angle de l’histoire. Il souligne l’extrême proximité de certains d’entre eux avec le travail de l’historien tout en contestant l’usage fait par certains d’entre eux de ces archives personnelles. Il dresse ainsi un tableau précis de chantiers engagés et de ceux laissés en friche.

I am not a source. Interview with Philippe Lejeune

In this interview, Philippe Lejeune re-examines his multiple works about autobiography in relation with History. He analysis especially the important closeness of some of them with the social historians works, while discussing the traditional use of personal archives in this science. In this way, he draws a careful and critical panel of the autobiographical studies.


ÉCRITURE DU MOI ET ÉCRITURE JOURNALISTIQUE SOUS LA RESTAURATION, CORINNE PELTA

Le concept de civilisation, redéfini par Guizot en 1828, s’articulant sur une relation identitaire, de visibilité, entre l’homme et la société, est capital pour saisir l’enjeu nouveau qui se joue entre l’écriture du moi et l’écriture journalistique. Un échange significatif s’opère entre ces deux modes — apparemment opposés — d’écriture. L’écriture du je s’affirme comme une écriture collective, une écriture de la visibilité sociale, tandis que la presse libérale, très active sous la Restauration, s’institue à son tour comme écriture collective, donnant à voir la société, mais aspirant également à faire voir l’homme, l’individu. L’écriture, réfléchissante dans les deux cas, produit non seulement une image de la société, mais génère aussi une nouvelle réalité sociale, un nouveau rapport entre l’individu et le collectif.

Self writing and journalistic writing under the Restoration, Corinne Pelta

In 1828, Guizot’s definition of the concept of civilisation which is founded on a relation of identity and visibility between man and the society, it is capital to understand the new union established in an autobiography and journalistic writing. A significant exchange operates between these two types — apparently opposite. The first person’s writing affirms a collective writing, a writing of social visibility, and the liberal press, very active under the Restoration, establishes at this time a collective writing, showing the society, but wanting equally to show man, individual. Writing, reflective in both cases, produces not only an image of the society, but it generates a new social reality, a new relation between individual and the community.


L’INFAMIE COMME ŒUVRE. L’AUTOBIOGRAPHIE DU CRIMINEL PIERRE-FRANÇOIS LACENAIRE, ANNE-EMMANUELLE DEMARTINI

L’assassin Pierre-François Lacenaire (1803-1836) écrit ses Mémoires autobiographiques, à la prison de la Conciergerie, quelques semaines avant sa mort sur l’échafaud, le 9 janvier 1836. L’identité de son auteur, les conditions dramatiques de la mise en œuvre ainsi que son retentissement auprès d’un public fasciné et choqué par ce  testament homicide , confèrent à cette entreprise un caractère exceptionnel. Aussi ce texte intéresse-t-il l’historien moins comme un document sur la vie de Lacenaire ou sur la société des trente premières années du XIXe siècle que comme un événement à part entière, marquant l’apparition d’une figure neuve d’infamie. Les Mémoires couronnent le travail de mise en scène de soi, par lequel Lacenaire s’institue sujet de ses crimes, et les projettent dans la postérité. Dans la parole autobiographique, affranchie du présent, tenue pour être entendue par-delà la mort, émerge la figure troublante de l’infamie comme œuvre.

Infamy as a work. The Autobiography of a Criminal. Pierre-François Lacenaire, Anne-Emmanuelle Demartini

The assassin Pierre-François Lacenaire (1803-1836) wrote his autobiographical Memoirs at the Conciergerie prison a few weeks before his death on the scaffold on January 9, 1836. The identity of its author, the dramatic conditions of the undertaking as well as the stir it occasioned in its audience fascinated and shocked by this "homicidal testament", confer on this enterprise an exceptional character. Such that this text is of interest to historians less as a document on the life of Lacenaire or on that of the first three decades of the 19th Century, than as a full-blown event marking the appearance of a new figure of infamy. The Memoirs crown the process of dramatisation of the self by which Lacenaire institutes himself as the subject of his crimes, and project these into posterity. Emancipated from the present, meant to be heard beyond death, the autobiographical discourse gives rise to the disturbing figure of infamy as a piece of work.


MILITER POUR SURVIVRE. LETTRES D’ANARCHISTES FRANÇAIS EMPRISONNÉS À BARCELONE (1937-1938), FRANÇOIS GODICHEAU

Pendant la guerre civile espagnole, à partir du printemps de 1937, de nombreux anarchistes furent emprisonnés pour des raisons politiques. Parmi l’importante correspondance de ceux qui s’appellent eux-mêmes les  prisonniers antifascistes, j’ai choisi celle de deux anarchistes français, l’un Francis Danon, militant de l’arrière, et l’autre Samuel Kaplan, ancien combattant du front d’Aragon. Dans leurs lettres à leur correspondant français Fernand Fortin, les demandes d’aide matérielle et morale se doublent d’une demande de reconnaissance politique : que font-ils dans ces prisons du camp républicain ? Le mélange des thèmes de la survie matérielle et de la contestation politique, des demandes précises et des comptes rendus de réunions et d’actions menées en prison, la sincérité du cri de ceux qui s’estiment trahis par leur propre cause, tout cela permet de saisir le moment, dans la vie de ces hommes, où naît la motivation (ou la démotivation) politique.

Militating to survive. Letters by French anarchists emprisonned in Barcelona (1937-1938), François Godicheau

During the Spanish civil war, from the spring of 1937 onwards, many anarchists were locked up in prison for political reasons: the revolution is no longer on the agenda. Among the important correspondence from those who called themselves antifascists prisoners, I selected letters from two French anarchist men. One, Francis Danon, is a militant of the rearguard, the other, Samuel Kaplan, has struggled on the front line of Aragon. In their letters to the leader of French anarchists in Barcelona, Fernand Fortin, the needs of material and moral help couple with a claim for political recognition: why are they in jail in the republican side? The combination of the themes of material survival and political claim, precise requests and reports of meetings and activism in prison, the sincerity of the scream of those who feel betrayed by their own cause, all this helps us to get the very moment, in the life of these men, when political motivation (or demotivation) is rising.


USAGES DE LA RHÉTORIQUE ROMANTIQUE. L’EXPRESSION ÉPISTOLAIRE DU SENTIMENT AMOUREUX ADULTÈRE (1824-1849), PAULA COSSART

À partir de 1824, et pendant plus de vingt ans, Adèle Schunck, qui, jusqu’en 1830, s’occupe à la Cour des enfants du Roi, et Aimé Guyet de Fernex, professeur au Collège Royal de Louis le Grand, entretiennent, en secret, une liaison amoureuse adultère. Dans la correspondance qu’ils échangent pendant les années où se met en place leur relation, on retrouve, quasi-inaltérés, les modèles de conduite que suggère la littérature romantique : Adèle et Aimé expriment ce qui leur arrive à travers les valeurs et enjeux que les romanciers confèrent aux relations amoureuses. Ainsi, leurs lettres dévoilent une opposition entre une relation conjugale, qui serait de l’ordre de la sphère publique, et un domaine de l’adultère, privé, caché, opposition à laquelle s’en superpose une seconde, distinguant un domaine fait de conventions, de fausseté, le domaine de la Cour et de la vie conjugale, d’un domaine où l’on est soi-même, celui de la nature et de l’amour adultère.

Usage of romantic rhetoric. Epistolary expression of adultarian love (1824-1849), Paula Cossart

From 1824, and for over twenty years, Adèle Schunk, who until 1830 was governess to the King’s children at Court, and Aimé Guyet de Fernex, professor at the Royal College of Louis the Great, kept up a secret adulterous relationship. In the correspondence which they exchanged throughout the years during which their relationship was set up, one finds almost unaltered the models of behaviour suggested by Romantic literature: Adèle and Aimé express what happens to them through the values and implications that the Romantic writers attribute to intimate relationships. Thus, their letters reveal an opposition between married life, which would belong to the public sphere, and an adulterous domain, which is private and hidden. This opposition is overlapped by another conflict, the one opposing the world of conventions and falsehood, that of the Royal Court and married life, to the world where one is oneself, that of nature and adulterous love.


STRATÉGIES D’ÉCRITURE ET REPRÉSENTATION DE SOI. L’EXEMPLE DES COMBATTANTS DE 1870, CORINNE KROUCK

Comprendre les représentations de la guerre et de ses violences à partir des témoignages de combattants nécessite de s’interroger sur les modalités mises en œuvre par ces "écrivains d’un jour". Ainsi, la restitution du réel se voit hypothéquée par l’appropriation de modèles d’écriture spécifiques montrant combien les témoignages sont élaborés et les souvenirs reconstruits. Autrement dit, de ces pratiques auctoriales émergent des stratégies de présentation qui infléchissent les contenus et soulignent toutes les précautions à prendre face à des documents dont la volonté ostensiblement affichée est de témoigner. Dès lors, parce qu’ils obéissent aux exigences d’une écriture codifiée, ces textes dessinent une ligne de partage entre ce qu’il convient de dire ou de ne pas dire permettant à l’historien de mieux appréhender seuils de tolérance et représentations.

Strategies of writing and self representation. The example of the 1870 fighters, Corinne Krouck

Understanding the imagery of the war and its violence out of combatants’ testimonies requires wondering about the methods used by those "writers for a day" in their writing processes. Thus, the reconstruction of reality depends on self-appropriated writing patterns which underline how elaborate the testimonies are and how thoroughly the memories are reconstructed. From these authoring ways, "layout" strategies will emerge which modify the contents themselves and show how cautiously one should consider documents ostensibly aimed at presenting a testimony. Hence, because they obey the requirements of a specific type of writings, those texts draw a dividing line between what is to be said or not, which allows the historian to better appreciate levels of tolerance and representations.


LA DIMENSION MONUMENTAIRE DU TÉMOIGNAGE HISTORIQUE, RENAUD DULONG

L’article part du constat intuitif suivant : parmi les nombreux témoignages oculaires écrits lors des deux grandes catastrophes de l’histoire, il y a des  témoignages historiques. On qualifie ainsi des textes (ceux de Primo Lévi, Robert Antelme…) qui, au travers du récit des faits vécus, tentent de réfléchir l’événement. L’analyse de ce genre spécifique de témoignages reprend la distinction, classique en historiographie, entre  monument et document . La dimension monumentaire du témoignage des écrits exprimerait une intention d’interpeller le lecteur, pour lui transmettre un point de vue singulier sur la totalité signifiante de l’événement; elle offrirait à ce lecteur la possibilité d’accéder, au-delà d’une connaissance factuelle, à une expérience seconde de ce qui s’est passé.

The monumentary dimension of testimony, Renaud Dulong

The article is based on the following intuition: among the many testimonies, written during the two major tragedies in History, some of them are on a special type (for example those written by Primo Levi, Robert Antelme…). Such texts are called  historical accounts  inasmuch as, through the narrative of a life course, they can be considered as an attempt at reflecting the event. The analysis of such a specific account takes in consideration the distinction between  monument  and  document. The  monumental  dimension of such writings goes beyond relating facts, and would aim to conveying to the reader an individual and reflexive point of view on the global meaning of the event; such a dimension would give the reader the possibility to have access to an additional experience of what happened.


TÉMOIGNAGE ET RÉCIT HISTORIQUE, ARLETTE FARGE, PIERRE LABORIE, PHILIPPE ARTIÈRES

Cette table ronde a pour objet la place du témoignage dans l’écriture de l’histoire. Le débat porte sur les limites d’un tel recours et sur les problèmes méthodologiques et éthiques qu’il soulève.

Testimony and historical account, Arlette Farge, Pierre Laborie, Philippe Artières

In this debate, three historians discuss about the place of testimonies in the recent historical works. They lay stress on the methodological and ethic problems of this use.


LES JEUX DU "J " : APERÇUS SUR LA SUBJECTIVITÉ DE L’HISTORIEN, CHRISTOPHE PROCHASSON

De Michelet aux plus récents développements de l’historiographie contemporaine, plusieurs formules semblent avoir caractérisé les relations existant entre l’historien, son travail et son texte. Quatre moments peuvent être distingués qui, chacun, donnèrent des styles à la présentation de soi. Ces configurations intellectuelles peuvent se chevaucher l’une l’autre et ne sont pas seulement à considérer comme une succession. Le triomphe du moi chez Michelet se traduit dans une écriture où le je triomphe. L’historien de la Révolution française n’eut de cesse de combattre toute histoire d’où l’historien s’absentait. C’est contre cette présence assidue de l’auteur dans le texte d’histoire que s’éleva l’histoire méthodique et professionnalisée de la fin du xixe siècle. Le discours de l’histoire émane du lointain, de l’absent, peut-être du mort. Telle en tout cas sa prétention car l’historien de la Troisième République est bien le contraire d’un anonyme. La critique de Marc Bloch et celle de Lucien Febvre contre ce style historiographique s’appuyèrent sur une revendication d’auteur qui dénonçait ce prétendu vide. Et la  nouvelle histoire des années 1970, à l’heure même où un certain climat intellectuel entretenait l’illusion de la mort de l’auteur, fit un trône au nouvel historien. L’histoire de la fin du XXe siècle est l’héritière de ces moments-là.

The games of the I : insights into the historian's subjectivity, Christophe Prochasson

The relations between historians, their word and their text have a history. There are many solutions proposed, from Michelet to the recent historiography. Four moments could be distinguished even these moments are not separated so firmly. In the Michelet’ works, "I" is very present. This historian of the French Revolution opposes his history to another style of history where the historian is away. Against this conception, the French historians of the end of the XIXth century called for a history without historians. But never before, the historians were so present in the society and so in their text itself! Marc Bloch and Lucien Febvre criticise this conception. They were convinced of the importance of the author in the writing of history. It was the same point of view that the historians of the "nouvelle histoire" (new history) defended during the 1970’. It is this legacy that is ours.


UNE HISTORIENNE ET LE "PERSONNEL" : LE GOÛT DE L’ARCHIVE D’ARLETTE FARGE, PHILIPPE CARRARD

Arlette Farge, dans Le Goût de l’archive, décrit les documents sur lesquels elle travaille et les lieux où elle conduit sa recherche. En revanche, elle écarte tout élément "personnel" : elle ne retrace pas son parcours académique, ne révèle rien de sa vie privée et va jusqu’à exclure toute marque du "je". Cette manière très singulière de s’absenter du texte comporte un certain nombre d’enjeux. Tout d’abord, Le Goût de l’archive constitue une réflexion sur l’ego-histoire : Farge refuse le postulat qui sous-tend les récits de carrière de ses collègues, à savoir que la réussite scientifique d’un chercheur rend la vie de celui-ci intéressante et "racontable". D’autre part, le livre implique un commentaire sur certaines conventions d’écriture qui règlent le discours historique. En éliminant la première personne d’un texte où elle aurait pu légitimement s’en servir, Farge attire l’attention sur les problèmes de "subjectivité" qui se posent actuellement dans ce discours. Finalement, en parlant des lieux où elle se rend et des manuscrits qu’elle consulte, Farge signale un des non-dits de l’histoire. En creux, elle montre ce que pourrait être un texte où l’historien ne présenterait pas que les résultats de son enquête, mais ferait une place au déroulement de celle-ci.

A historian and the personnal: Arlette Farge's Taste for archivesPhilippe Carrard

Arlette Farge, in Le Goût de l’archive, describes the documents that she uses and the places where she conducts her research. But she eliminates everything "personal": she does not recount her career, says nothing about her private life, and even suppresses all signs of her "I". Some important issues are at stake here. Firstly, Le Goût de l’archive can be viewed as a reflexion about the historians’ propension to tell their lives; Farge rejects the assumption that underlies her colleagues career narratives, namely, that a researcher’s scholarly success makes his/her life interesting and "tellable". Furthermore, the book implies a commentary about some of the conventions of writing that shape historical discourse. Farge, by discarding the first person in a text where she was entitled to use it, points to the problem of displaying one’s "subjectivity" in that discourse. Finally, by writing a whole book about libraries and documents, Farge exposes one of the blind spots of history. Indirectly, she shows what historical texts could be like if researchers did not focus on results exclusively, but also told about the process of their investigations.


ÉMOTION ET CONNAISSANCE. L’EMPRISE DU SENSIBLE DANS L’ENQUÊTE SOCIOLOGIQUE, JEAN-FRANÇOIS LAÉ

Quel est l’intérêt pour l’enquêteur de prendre comme source d’information les émotions, les silences, les mots souffrants, à peine audibles, ou les faits divers en désordre ? Un conseil usuel donné aux enquêteurs consiste à écarter ce mode mineur de la réalité. Or, ce qu’on éprouve lors d’une enquête a une fonction de connaissance. Éprouver un silence, c’est se tenir à un point d’étouffement de la parole qui agit sur l’événement raconté. Analyser les sentiments et les émotions comme des sédiments sociaux, c’est interpréter les peurs, les incertitudes, l’effroi, les craintes que le sociologue doit prendre en charge. Parce que celui-ci enquête aussi avec son corps, éprouver est une source d’intelligibilité.

Emotion and knowledge. The power of the sensitive in sociological investigations, Jean-François Laé

Which interest for a sociologist to incorporate emotions, silence and suffering words in his information base? Those minor items are usually kept away from the analysis. The author shows why all these materials have, yet, a knowledge function and how the interviewer has to elucidate feelings and emotions as social sediments.


DOCUMENTS : COLLECTIONNER L’ARCHIVE. TROIS CAS, TROIS EXEMPLES, DE LA MÉDECINE AU MILITANTISME, PHILIPPE ARTIÈRES

Les archives personnelles que les historiens travaillent ont une histoire ; ils arrivent bien souvent que ces documents soient le produit d’injonction ou de collectes passées ; sont ici introduits et présentés des archives émanant de champs différents : la médecine, le pénitentiaire et le militantisme; trois documents dont l’histoire met au jour des pratiques de collectes différentes.
Le premier de ces documents est un récit autobiographique rédigé en 1970 et reçu par Michel Foucault au moment du Groupe d’Information sur les prisons. Le deuxième document est la lettre d’un malade du docteur Luys qui parut en 1887 dans la revue L’Encéphale sous le titre "Impressions d’un buveur d’opium décrites par lui-même". Les deux derniers documents sont les autobiographies manuscrites de deux exécuteurs du bagne de Guyane, Auguste Louis Chaumet et Isidore Hespel, envoyées par un médecin au criminologue Lacassagne à la fin du siècle dernier.

Documents: collecting archives. Three cases, three examples from medicine to militancy, Philippe Artières

All the personal archives have their own histories. Sometimes they are the product of an injunction. We published here three autobiographies written in very special conditions and conserved for particular uses: political (memories of a prisoner, written in 1971 for The Groupe d’Information Prison of Michel Foucault), medical (a drug addict letter to Dr Luys in 1887) and sociological (two autobiographies of executioners at the end of the 19th Century).